Tôt ou tard, tout employeur doit se demander quelle est la différence entre l’immigration temporaire et l’immigration permanente : quels sont les enjeux concernant les démarches, ses obligations en tant qu’employeur, mais également comment évaluer les coûts associés aux procédures, leur durée — pour, ultimement, compter sur une main-d’œuvre à long terme très bien intégrée ? Éléments de réponse.
Le passage d’un statut temporaire à un statut permanent se fait en plusieurs étapes à la fois complexes et au cas par cas, selon les employés. La règle d’or est de ne jamais tenir pour acquis qu’un employé titulaire d’un permis de travail est déjà un résident canadien. Si, techniquement, il l’est en termes de résidence fiscale, d’un point de vue légal, une personne immigrante temporaire n’est admise sur le sol canadien que temporairement, et ce jusqu’à l’obtention de sa résidence permanente. Et encore… ce n’est qu’après être devenu un citoyen canadien à part entière que l’on devrait, en réalité, utiliser le terme « permanent ».
Un cheminement qui se planifie
Lorsque vous employez un travailleur étranger temporaire, un permis de travail est délivré à ce dernier pour une durée déterminée selon le type de permis de travail ou période demandée par l’employeur. Au terme de cette période, le permis de travail peut être prorogé pour de nouvelles périodes tant et aussi longtemps que l’employeur est en mesure de justifier la nécessité d’employer un travailleur étranger pour le poste désigné. Des paramètres variables se mettent alors en place selon le programme préconisé, selon qu’il s’inscrive dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires ou dans le programme de mobilité internationale (PMI).
La planification de la résidence permanente du travailleur étranger devrait se faire dès le début de la démarche du recrutement du candidat. La sélection de la Classification nationale des professions (CNP) va avoir une incidence majeure sur le parcours d’immigration à plus long terme, et donc de la rétention de vos employés. Le profilage du candidat sera lui aussi déterminant pour l’orientation au niveau de la résidence permanente.
Le recruteur, cet agent d’immigration
Pour devenir résident permanent ou « personne (immigrante) admise », selon la terminologie officielle, il faut que l’employé obtienne au préalable un Certificat de sélection du Québec (CSQ). Or, cette étape n’est pas aussi évidente qu’elle peut en avoir l’air. En tant qu’employeur, vous vous demandez quelles sont vos responsabilités ? Quels sont les délais ? Quels sont les risques ? Et, finalement, vous cherchez à comprendre ce qui s’applique à vos employés dans la multiplication d’informations autour de cette question.
Stratégiquement, un employeur qui veut pérenniser son recrutement international doit s’assurer de bien évaluer le profil de ses candidats par rapport aux compétences recherchées et aux critères d’obtention du permis de travail ; mais il doit également évaluer le potentiel à long terme pour permettre aux candidats de devenir résidents permanents. Cet exercice se fait dès le début du processus du recrutement. L’employeur devient, le temps d’un recrutement, un véritable agent d’immigration, qui recrute pour ses propres besoins autant que pour la prospérité de la province.
Aborder sereinement le processus de recrutement international pour le long terme
Voici quelques conseils et éléments d’informations qui vous permettront de vous intégrer dans le processus en apportant le meilleur accompagnement possible à vos employés.
1 — Le CSQ s’obtient soit par le biais du Programme de l’expérience québécoise ou PEQ (volet Travailleur étranger temporaire ou volet Personne diplômée du Québec), ou par le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ), qui est géré par un système de déclaration d’intérêt à deux niveaux comportant une grille de sélection, dans un premier temps, puis une grille de classification. Arrima est la plateforme d’enregistrement pour les 2 types de demandes, via le PEQ et le PRTQ.
2 — Auparavant, le PEQ permettait à toutes les personnes disposant un permis de travail, en emploi au Québec à temps plein, s’exprimant à un niveau de français d’intermédiaire avancé de niveau 7 et justifiant 12 mois d’emploi dans les 24 derniers mois, d’être admissible à la sélection permanente au Québec. C’était révolutionnaire, d’autant plus que toutes les catégories d’emploi étaient concernées (0, A, B, C et D). Mais le PEQ a fait l’objet d’une réforme majeure en août 2020, qui lui a fait perdre beaucoup d’attraits. Il reste toutefois toujours avantageux pour certains types d’employés qui stratégiquement pourraient être la meilleure des options, mais c’est au cas par cas. Aujourd’hui, pour ce même programme, le fait d’attendre 24 mois en emploi qualifié (catégories 0, A ou B) à temps plein avant de pouvoir soumettre une demande qui sera traitée en six mois (contre 20 jours avant la réforme) en refroidit plus d’un…
3 — Dans le cadre du PRTQ, la déclaration d’intérêt pourrait être comparée un peu au jeu de la roulette. C’est un tirage. Mais pour arriver à ce tirage, il faut que le candidat puisse passer, en premier lieu, à travers une grille de sélection. C’est simple : si vous employez le meilleur des opérateurs de machine CNC, francophone et possédant des certificats d’emploi, de la formation professionnelle en chaudronnerie-métallurgie, il risque de ne pas être admissible et ne le sera pas du tout s’il ne détient pas son secondaire 5 ou l’équivalent. En effet, la grille de sélection, dès le début, a un seuil éliminatoire au secondaire 5. Et si jamais votre candidat passe à travers le tamis de la sélection, il reste encore à passer l’étape de la classification. Enfin, il faudra attendre les invitations à présenter une demande de sélection permanente, que le ministère de l’Immigration, de la Francisation, et de l’Intégration (MIFI) émet ces derniers temps principalement pour les personnes qui ont reçu une offre d’emploi permanente… en région ! Bref, ce qui a été pris du PEQ a été remis à la Déclaration d’intérêt avec des contraintes complémentaires…
4 — La résidence permanente est souvent une question de temps, de patience ou de capacité à attendre. Les politiques actuelles et les discussions interministérielles entre le palier fédéral et provincial ont beaucoup de difficulté à s’entendre sur la notion de temps. De fait, le Québec affiche un handicap majeur sur le reste du Canada en termes de délais pour la finalisation de ces procédures. On s’entend qu’après l’obtention du CSQ, qui selon le volet peut prendre de quelques mois à quelques années (si un candidat attend d’être invité sur la base d’une déclaration d’intérêt qui n’entre pas dans les critères prioritaires), il reste encore l’étape de la demande de résidence permanente au fédéral, qui prend presque 2 ans à elle seule. En attendant la réduction promise de ces délais, il faut prendre son mal en patience et, en tant qu’employeur, vous devez savoir que vous devez déjà prévoir de 2 à 3 demandes de prorogation de statut avant que votre employé ne devienne résident permanent. Et lorsque nous parlons de prorogation, nous parlons de demandes de permis de travail à part entière, car le CSQ seul ne lui donnera aucun droit légal de travail… Pensez donc à calculer le coût associé à chacune de ces démarches et travailler sur des échéanciers bien précis pour ne rien manquer.
5 — Votre implication en tant qu’employeur est purement administrative dans le processus de la demande de sélection permanente, et nulle dans la seconde étape de demande de résidence permanente au fédéral. Dans le cadre du PEQ, si le volet choisi de votre employé est celui des Travailleurs étrangers temporaires, vous devez vous assurer qu’il possède ses fiches de salaires et lui procurer une attestation d’emploi conforme aux exigences du programme. Dans le second programme, celui du PRTQ, l’employeur peut recourir à une offre d’emploi permanente auprès du MIFI.
Cette procédure est une sorte d’engagement de l’employeur auprès du gouvernement qu’il emploiera le candidat étranger pour occuper un poste précis dans son entreprise (lorsqu’il deviendra résident permanent).
Les formalités sont de préparer de la documentation corporative et économique, une sorte d’EIMT si l’on peut dire, et la présenter au MIFI seulement. Attention, vous pourriez même, selon le poste, avoir à démontrer que vous avez effectué sans succès une campagne de recrutement. Toujours est-il que, bien souvent, les employeurs commettent l’erreur de tenir pour acquis qu’exécuter cette seule demande permettra à leurs employés d’obtenir directement un permis de travail permanent. Un tel permis, on l’aura compris, n’existe pas. L’offre d’emploi permanent est seulement une béquille à la résidence permanente — et souvent une béquille pour optimiser les chances de sélection permanente de votre employé, à travers la fameuse grille de sélection au Québec… Et n’oubliez pas : sans un niveau de secondaire 5, l’offre d’emploi n’aura aucun impact et il faudra revoir toute la stratégie.
6 — Au niveau des coûts, c’est certain que ce cheminement d’un statut temporaire à permanent peut impacter l’employeur. La démarche de la demande de résidence permanente n’ayant pas de connexion directe avec l’employeur : le défraiement des frais de traitement et autres honoraires professionnels (si un spécialiste légalement autorisé est impliqué dans la procédure) se fera à sa discrétion. Il arrive souvent que les employeurs prennent seulement en charge la partie provinciale du CSQ, autant au niveau des frais gouvernementaux que des honoraires. C’est un couteau à double tranchant, car c’est là que l’employeur va pouvoir constater la loyauté de son travailleur étranger, en lui achetant, pour ainsi dire, sa liberté. Une fois le CSQ en poche, les possibilités de changement d’employeur sont ouvertes pour le travailleur étranger, dès lors dispensé d’EIMT… Ceci dit, c’est une belle preuve également de la part de l’employeur d’encourager son employé à s’installer définitivement au Québec. Quoi qu’il en soit, pendant tout le cheminement, il y a les coûts des prorogations de permis de travail qu’il faut bien synchroniser et continuer à assumer.
Pour résumer, chaque employeur apporte sa contribution sociale à la société québécoise en recrutant des travailleurs étrangers, en les aidant à s’intégrer et en les accompagnant vers le statut de résidents permanents. C’est un cheminement qui ne peut être fait à la dernière minute ou en cours de route, mais qui doit faire partie d’une planification stratégique minutieuse et budgétée, dès le recrutement.
Alors que la crise de main-d’œuvre sévit à travers toute la province (et au-delà), une main-d’œuvre intégrée et opérationnelle est un luxe. Par conséquent, avant de confirmer à votre futur travailleur étranger temporaire qu’il est retenu pour ses compétences et ses réalisations, assurez-vous qu’il possède aussi les critères pour accéder à la résidence permanente. À défaut, vous devrez vous poser la question de vos options en tant qu’employeur, ainsi que votre capacité à réagir si celui-ci vous exprime, au cours de son contrat, son intention de s’installer durablement au Québec avec un statut permanent. Et en fonction, de ce critère, vous pourrez être amené à reconsidérer, voire à renoncer à une embauche.