« Le projet, ce n’est pas que moi, c’est toute une famille », insiste Anne Van Den Bosschelle. Installée sur la terrasse colorée du Café Colibri, la copropriétaire interpelle presque chaque passant à l’intersection Beaubien et Chabot, dans l’arrondissement de Rosemont, à Montréal.
Travailleuse sociale à la retraite, elle a voulu créer un lieu de rencontre entre les générations et les cultures qui se côtoient et s’entremêlent dans le quartier.
Du constat à l’action
Ouvert le 10 mars 2020, trois jours avant la déclaration d’urgence sanitaire au Québec, le Café Colibri a depuis pris son envol et touché son principal objectif : venir en aide aux demandeuses d’asile.
Une population qu’a côtoyée Mme Van Den Bosschelle durant sa carrière, notamment en CLSC et à la Maison Bleue, auprès des femmes enceintes en situation de vulnérabilité. Arrivée au Québec il y a quarante ans, elle a elle-même dû naviguer entre les obstacles de l’immigration et recommencer sa scolarité de zéro, à défaut d’obtenir les équivalences nécessaires.
C’est avec une de ses anciennes collègues, Diane Bachand, que lui est venue l’idée du café. « On s’est dit qu’on allait créer une entité où les femmes pourraient mettre en valeur des compétences qui ne soient pas celles de mères de famille, dans lesquelles on les cantonne souvent. Une façon pour elles d’approcher la collectivité sans être considérées comme des personnes en demande », explique Mme Van Den Bosschelle.
Au Café Colibri, « la femme immigrante est actrice : elle nous vend des affaires », poursuit l’ancienne travailleuse sociale. Au menu, on retrouve donc empanadas, biryanis, boisson au gingembre ou encore du bissap, un jus d’hibiscus populaire en Afrique de l’Ouest.
Inclusion
Tous les produits sont faits par les demandeuses d’asile, référées au café par la douzaine d’infirmières, de travailleuses sociales et de psychoéducatrices qui gravitent autour du projet. Elles offrent aussi des cours et ateliers de toute sorte. Ces activités leur permettent de générer un revenu, mais contribuent aussi à « amener la population à adhérer à l’idée que le monde, le pays, la ville, le quartier sont pluriels », souligne la copropriétaire.
En attente de se voir accorder le statut d’organisme sans but lucratif (OSBL), l’entreprise fonctionne grâce à une vingtaine de bénévoles et à deux employées salariées. Derrière le comptoir, Delphine et Astrid accueillent les clients comme s’ils passaient le seuil de leur maison. « Bonjour chéri, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? », entonnent-elles en chœur.
L’ambiance est inclusive, à l’image de ce qu’Anne Van Den Bosschelle aimerait voir se déployer au sein de la société québécoise. « Les gens ne vont pas arrêter de venir ici, parce que le Canada demeure une terre d’accueil » — même si les mois de pandémie ont eu des conséquences importantes sur les entrées au pays des personnes plus vulnérables. En 2020, 9 825 demandes d’asiles ont été enregistrées au Québec, d’après Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Ce sont environ 21 500 de moins que durant l’année précédant la pandémie.
Prévention et solutions
« Il y a de plus en plus d’organismes privés qui font le travail du public », déplore Mme Van Den Bosschelle, que les coupes budgétaires dans le milieu communautaire ont d’abord poussée vers une retraite anticipée. Elle se réjouit tout de même de voir un nombre croissant de commerces prendre la voie de l’intégration professionnelle des personnes immigrantes et réfugiées.
« Il ne faut pas oublier que ces personnes ont vécu des choses difficiles, qu’elles ne sont pas forcément prêtes à partager », rappelle Mme Van Den Bosschelle. Un frein à l’intégration socioprofessionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés qui peut, selon elle, être évité. Le Café Colibri adopte une approche différente, en proposant des « sphères d’activités moins intrusives, pour que la population nous fasse confiance », explique-t-elle.
Un premier pas vers l’intégration, d’après celle qui croit à l’importance de l’anticipation, de la prévention et, surtout, aux « petites actions qui font boule de neige ».
Avant d’enfiler le tablier pour aller aider ses employées, Anne Van Den Bosschelle conclut : « si chacun fait sa part, on va avoir des citoyens ensoleillés. Et peut-être que l’État va suivre ! »