Selin Deravedisyan-Adam, Directrice des opérations en immigration nationale et internationale pour Phoenix GMI et consultante réglementée en immigration canadienne, revient sur les premières mises en application des mesures d’assouplissement de l’immigration économique annoncées à l’été 2021 par les gouvernements du Québec et du Canada.
Comme vous le savez sans doute, de nouvelles règles sont entrées en vigueur le 10 janvier 2022 pour les employeurs, concernant la proportion de travailleurs étrangers temporaires autorisés à occuper des postes à bas salaire sur un même lieu de travail. Cela signifie que les demandes d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) reçues de la part de certains employeurs québécois peuvent dorénavant compter dans leurs rangs une proportion de 20 % de travailleurs étrangers temporaires occupant ces postes à bas salaire, contre 10 % précédemment.
Ce nouveau seuil ne concerne toutefois que 9 secteurs d’activité économique bien définis, qui touchent la foresterie et l’exploitation forestière (y compris la fabrication de produits en bois), et bien sûr d’autres secteurs de fabrication, comme les aliments, les boissons et de tabac, la fabrication de produits en plastique et en caoutchouc, les produits métalliques, le commerce de détail — hors alimentation, qui entre dans le secteur de l’hébergement et la restauration, concerné également —, sans oublier le secteur des entreprises d’utilité publique. Un secteur attire toutefois particulièrement notre attention, dont le code SCIAN est le 55.
Le cas du SCIAN 55
Le SCIAN 55 est dédié aux entreprises qui œuvrent dans la gestion de sociétés et d’entreprises. Cela peut paraître surprenant que ce secteur soit ciblé par la mesure d’assouplissement. Mais en effectuant une analyse plus approfondie sur les structures de ces entreprises, nous pouvons en comprendre la logique. Dans les faits, le SCIAN 55 est un secteur très large et non limité aux seules entreprises qui offrent des services de gestion. Un grand nombre d’entreprises font partie de groupes, eux-mêmes dirigés par ces entreprises de gestion, un peu à l’image d’une poupée russe. De fait, même si une des activités de ces groupes n’entre pas dans les secteurs précis de la liste des 9 secteurs déterminés, l’entreprise qui présente une demande l’EIMT pourra recruter des postes à bas salaire à hauteur du seuil de 20 % par lieu de travail, dès lors que le SCIAN 55 apparaît dans la structure.
Davantage de CNP de catégories D
Lorsque la mesure avait été annoncée en automne dernier, la liste des professions par secteur d’activité se limitait à une douzaine de CNP seulement dans les emplois de catégorie D. Toutefois, l’entrée en vigueur de la nouvelle règle a révélé l’ouverture de cette liste à toutes les professions, sans exception — hors celles qui relèvent :
- du traitement simplifié,
- du volet des hauts salaires,
- du volet agricole, ou encore
- du volet des talents mondiaux
Ces emplois ne sont pas soumis à un seuil limite de travailleurs étrangers temporaires dans leur effectif.
Prenons l’exemple d’une entreprise manufacturière spécialisée dans la fabrication de structures métalliques, qui doit recruter plus d’une quarantaine d’assembleurs. Ce poste ne fait pas partie du volet Traitement simplifié. Comme le salaire horaire offert est de 22 $ CAN, il n’entre pas non plus dans le volet des hauts salaires. Par conséquent, l’employeur n’a pas d’autre choix que de se rallier au volet des bas salaires pour solliciter les EIMT-CAQ de ses employés.
Le secteur d’activité économique de l’entreprise est le SCIAN 332, soit Fabrication de produits métalliques. Cette entreprise, dont l’effectif de l’usine principale s’élève à 240 employés, ne pouvait recruter plus de 24 travailleurs étrangers temporaires avant la mise en application des nouvelles règles. À présent, l’augmentation des seuils lui permet de compter dans ses rangs jusqu’à 48 travailleurs étrangers temporaires dans le volet des bas salaires.
Des subtilités d’application fondamentales à intégrer par les employeurs
Une analyse plus approfondie nous révèle que la mesure offre certes un net avantage pour les employeurs, qui peuvent ainsi compter sur une main-d’œuvre précieuse sur certains types de postes, notamment des postes spécialisés ; une main-d’œuvre qu’ils pourront même garder à long terme par les voies de la résidence permanente. Cependant, pour les postes peu spécialisés, cette mesure reste encore une solution temporaire, destinée à répondre à l’urgence des besoins de main-d’œuvre dans certains secteurs.
Il sera important dès lors d’adapter une stratégie qui prendra en considération le profil de vos candidats et évaluer l’adaptabilité aux programmes permettant d’obtenir la résidence permanente par la suite, le cas échéant.
D’autres points sensibles demeurent, comme :
- les délais de traitement, qui sont toujours longs,
- l’obligation maintenue d’obtenir une EIMT, alors que des dispenses auraient pu être également ajustées en mesure spéciale pour couvrir des secteurs en pénurie de main-d’œuvre, sans oublier le fait que
- le calcul des 20 % est établi par lieu de travail et non pas par employeur, une précision qui peut se heurter à la réalité économique des employeurs en région éloignée.
Ce dernier point peut s’avérer être un problème majeur pour certains employeurs qui disposent de plusieurs lieux de production dans un même périmètre, avec le même ARC. En effet, il arrive souvent que des employés en production soient affectés à tel ou tel lieu selon la cadence de fabrication. Et bien, il faut dédoubler la page du formulaire d’EIMT pour indiquer que les mêmes personnes vont travailler dans l’Usine A qui a 500 employés, dans l’Usine B qui a 150 employés, etc. On comprend que si l’employeur recrute 20 TET, ils pourront travailler dans le volet des bas salaires dans l’Usine A, mais pour travailler dans l’Usine B, c’est une autre histoire…
Il est donc important de prendre cette nouvelle mesure avec discernement. Plusieurs employeurs ont pris pour acquis que la règle des 20 % s’appliquait de façon générale, à tous les travailleurs étrangers. Or, il est plus nécessaire que jamais de travailler les profils et les CNP, d’analyser les postes qui peuvent être transférés dans le volet des hauts salaires ou celui du traitement simplifié, y compris les nouveaux postes relevant de CNP catégorie C qui y seront prochainement incorporés (et qui ne seront donc plus soumis à quota). L’exercice relève d’un véritable jeu d’équilibriste, mais il en vaut largement la peine.