Coordonnatrice des volets employabilité et régionalisation à la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), Émilie Bouchard connaît de près la réalité du terrain — comme celle des acteurs qui le façonnent.
Après un baccalauréat en études internationales à l’Université de Montréal, Émilie Bouchard se lance dans une maîtrise en médiation interculturelle, à Sherbrooke cette fois. C’est là qu’elle découvre une passion pour les enjeux liés aux migrations internationales — et qu’elle trouve sa vocation.
Trilingue, elle s’intéresse d’abord à l’intégration linguistique des personnes immigrantes, ainsi qu’au « contexte plus global, tout ce qui relève de la géopolitique [et] qui peut influencer le mouvement des personnes », confie-t-elle.
Aussitôt diplômée, elle commence à travailler pour des organismes communautaires qui œuvrent en employabilité auprès d’une population issue de l’immigration. Si elle n’avait pas prévu se spécialiser en employabilité, Émilie Bouchard trouve son compte dans la relation d’aide et le contact avec les gens. Une expérience professionnelle qui la mène, il y a près de cinq ans, à se tirer une chaise à la Table.
La concertation…
La TCRI comporte actuellement 163 membres à travers le Québec, auxquels elle offre des services de formation et des espaces de concertation. Le regroupement est aussi en charge de suivre les actualités en matière d’immigration, et de plaider la cause des personnes immigrantes, lorsqu’il juge que certaines mesures annoncées peuvent leur porter préjudice.
Le Réseau des organismes de régionalisation de l’immigration (RORIQ), dont Mme Bouchard est en charge, en est un sous-organe, qui représente 24 organismes communautaires. Son rôle est, entre autres, de saisir les impacts que peuvent avoir sur leurs membres les changements en matière de régionalisation. Et ils sont nombreux, d’après la coordonnatrice.
… au service de la séduction
« J’ai vu une évolution dans la place de la régionalisation au sein du ministère [de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI)], aussi dans le financement », dit-elle, « il y a un grand pas qui a été fait ».
Si elle se réjouit des avancées récentes en matière de régionalisation, Émilie Bouchard met aussi en garde contre la démultiplication des acteurs en la matière : « si des projets sont financés, il faudrait s’assurer que ce soit dans des créneaux qui n’ont pas été nécessairement exploités », affirme-t-elle.
Un exemple ? Permettre aux organismes communautaires d’étendre leur campagne de séduction aux personnes immigrantes à l’extérieur du Canada. À l’heure actuelle, ils ne peuvent effectivement que travailler avec l’immigration dite « secondaire », c’est-à-dire des personnes immigrantes déjà installées dans les grands centres urbains du Québec, qu’il leur faut ensuite attirer en région.
D’où l’importance de la concertation, souligne-t-elle, donnant aussi l’exemple du Programme d’appui aux collectivités (PAC), qui vise notamment à renforcer le rôle des Municipalités régionales de comté (MRC) dans l’intégration des personnes immigrantes en région. Mme Bouchard estime que « c’est une bonne chose que les MRC soient impliquées pour favoriser le bon fonctionnement de l’écosystème — sans se substituer aux organismes, mais en étant plutôt comme un liant entre tous les acteurs qui existent déjà ».
Blocages et débouchés
Une fois attirés en région, « il faut qu’il y ait un arrimage entre ce que la personne immigrante veut faire et les opportunités qui sont offertes, mais aussi qu’on lui offre, insiste Mme Bouchard, parce qu’il se peut que des postes qui correspondent aux compétences et aux préférences des personnes immigrantes leur soient inaccessibles, pour des raisons structurelles et systémiques », poursuit-elle. Elle explique entre autres qu’« il y a beaucoup de postes [disponibles en région] qui sont très techniques et manuels, qui des fois ne correspondent pas au profil des personnes immigrantes qui sont à Montréal et qui sont très scolarisées ».
Pour les gens qui ont des métiers réglementés ou régis par un ordre, il peut également être moins facile d’avoir accès à des stages ou à des cours prescrits par l’ordre, par exemple. De même pour la reconnaissance des acquis et des compétences, l’offre est plus grande dans les centres urbains.
Mme Bouchard rappelle néanmoins les avancées multiples en matière de régionalisation, pour beaucoup propulsées par les organismes communautaires sur le terrain, et qui savent mettre de l’avant les avantages de leurs territoires respectifs. Un élément clé en régionalisation – « ça, et être patient », conclut-elle en riant.