Petite municipalité de la région Nord-du-Québec, Chibougamau accueille une entreprise familiale de transformation du bois depuis plus d’un demi-siècle. Mais la branche locale de Nordic Structures, baptisée Chantiers Chibougamau, souhaite aussi contribuer à métamorphoser le visage de l’industrie manufacturière.
« On a commencé [à recruter à l’international] en 2018, soit avant que lesconcepts de rareté ou de pénurie de main-d’œuvre ne se cristallisent au Québec », raconte Frédéric Verreault, directeur exécutif au développement corporatif chez Chantiers Chibougamau.
Déjà en 2018, un Chibougamois actif sur quatre travaillait pour l’entreprise, dans une municipalité mono-industrielle d’environ 7 500 habitants. « On a fait le constat qu’on a épuisé tout le potentiel d’embauche, peu importe le degré de qualification », se souvient M. Verreault. Ce dernier a aussi remarqué qu’en plus du vieillissement de la population, « il y avait de moins en moins d’appétit des Québécois installés ailleurs au Québec pour venir s’établir dans notre région nordique, peu importe la forte rémunération ».
Quatre ans plus tard, sur les 1 150 employés qui œuvrent sous la bannière de Nordic Structures, une centaine de personnes sont issues de l’immigration. Plus de 70 d’entre elles sont établies à Chibougamau.
Recrutement
Bien que l’entreprise se démarque aujourd’hui par sa capacité d’intégration et de rétention des travailleurs étrangers, la première campagne de recrutement à l’international se fait à tâtons. « C’était très exploratoire. On n’avait aucune idée de comment tout ça se déploierait, de comment les candidats s’enracineraient dans le [tissu] très homogène de notre petite localité du nord du Québec », admet M. Verreault. Il affirme avoir « découvert des personnes extraordinaires, qui ont fait le choix de changer de vie pour venir aider l’entreprise à continuer de contribuer à la vitalité [de la province] ».
Chantiers Chibougamau concentre ses missions de recrutement principalement aux Philippines, où le bassin démographique et la structure industrielle sont importants. Frédéric Verreault explique quel’élargissement des bassins géographiques ciblés revient ensuite à multiplier les besoins en accompagnement, notamment sur le plan culturel.
Après les missions de recrutement, les équipes de ressources humaines se déplacent aux Philippines pour rencontrer les futurs employés et confirmer leurs choix. M. Verreault affirme que « tout s’inscrit dans une démarche de permanence » même si l’entreprise fait appel au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) afin de faciliter l’obtention des permis de travail.
L’entreprise est d’ailleurs en train d’accompagner ses premiers employés recrutés à l’international dans leur processus d’obtention de la résidence permanente.
Intégration
Pour réussir l’intégration des travailleurs étrangers, il faut investir sur les plans humain autant que financier. Chantiers Chibougamau est prête à investir de façon importante pour favoriser l’arrivée et l’installation de ses nouveaux employés.
Face à la difficulté de trouver des logements en région, par exemple, l’entreprise familiale a décidé de louer et d’acheter plusieurs maisons. En parallèle, 32 habitations sont en cours de construction à Chibougamau afin d’accueillir les prochaines cohortes de travailleurs recrutés à l’extérieur de la municipalité.
Une voiture est également disponible « pour qu’ils puissent se déplacer, se bâtir des habitudes de vie et un quotidien dans la nouvelle communauté qu’ils habitent », soutient M. Verreault.
En collaboration avec des groupes communautaires spécialisés, l’entreprise offre aussi un accompagnement dans les procédures administratives, de l’ouverture d’un compte bancaire à la régularisation de leur statut migratoire, en passant par les procédures pour faire venir leur famille au Québec.
« Sur le plan humain, [l’intégration] se passe mieux que ce qu’on aurait pu imaginer, et ce, depuis le jour un », se réjouit Frédéric Verreault. Ce dernier apporte une nuance : « sur le plan administratif, c’est là où c’est lourd, c’est long, c’est inutilement complexe ».
Rétention
Plus ou moins une année s’écoule entre la confirmation du choix de l’employé recruté à l’étranger et son entrée en emploi, indique le directeur.
Concernant les délais administratifs et les critères liés à la maîtrise et à l’apprentissage de la langue française, il croit que « les paramètres ont été établis dans un contexte qui n’avait rien à voir avec aujourd’hui ». M.Verreault donne l’exemple de la francisation, dont les exigences à l’écrit correspondent selon lui aux besoins de métiers régis par des ordres professionnels, mais ne sont pas adaptées à « cette nouvelle immigration, destinée au secteur industriel ».
Il estime également que les délais pour faire venir les conjointes et conjoints des TET nuisent à la résolution de la pénurie de main-d’œuvre.
Malgré ces défis, les pratiques visant l’intégration mise en place par Chantiers Chibougamau portent leurs fruits : depuis le début de leur campagne de recrutement à l’étranger en 2018, ils enregistrent un taux de rétention de 98 %.
« C’est extrêmement positif comme trajectoire, comme résultat et comme étape d’établissement chez nous », affirme M Verreault. Il ajoute que personne dans l’équipe « ne se priverait plus de la contribution quantitative, mais surtout qualitative de ces nouveaux travailleurs qui sont venus renforcer [leur] entreprise [et]donner ce visage nouveau, autant à [leur] communauté qu’à tout ce qu’[ils ont] toujours connu comme étant très conventionnel du milieu industriel, manufacturier québécois ».
L’entreprise est sur la bonne voie : en septembre 2022, une soixantaine de nouveaux employés ont été recrutés à l’étranger. « Pour nous, la porte demeure absolument ouverte », s’exclame Frédéric Verreault.
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