
Les discours accusant les nouveaux arrivants d’être responsables de la pénurie de logements ou de la hausse des prix de l’immobilier sont répandus. Pourtant, à l’heure où le sujet n’a jamais été aussi brûlant, les liens entre immigration et logement ne sont peut-être pas ceux que l’on croit.
« Dans l’histoire, ce réflexe de pointer l’immigration comme cause d’un problème — quel qu’il soit — se répète fréquemment. Cette attitude aboutit généralement à des résultats peu reluisants », avertissaient les signataires d’une tribune publiée par le média en ligne Pivot, le 10 janvier 2023.
Tous issus du milieu associatif, ils dénoncent le « réflexe » qu’ont plusieurs à accuser l’immigration d’être en cause de la crise du logement, qui sévit actuellement dans les villes et les villages de la province.
Nous avons rencontré Sébastien Lord, professeur en urbanisme à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal, afin d’apporter un éclairage sur les liens entre l’immigration, le logement et l’urbanisme.
En finir avec les amalgames
Le spécialiste des enjeux liés au vieillissement de la population, notamment immigrante, s’entend avec les signataires de la tribune pour dire que les personnes issues de l’immigration sont « souvent utilisées pour répondre à d’autres objectifs », par exemple politiques.
S’il rejette l’idée que l’immigration ait une quelconque responsabilité dans la crise du logement, il reconnaît que loger les nouveaux arrivants est « un vrai problème… comme pour le reste de la population ».
« Les immigrants qui arrivent pour travailler ou pour étudier ici sont sensiblement dans la même logique que la population déjà ici. Ils se retrouvent confrontés aux mêmes enjeux d’accès à la propriété, ou d’accès à un logement assez grand [s’ils ont] des enfants », détaille-t-il.
Outre ces difficultés, les personnes issues de l’immigration auraient, selon lui, tendance à accéder à la propriété plus tard, mais autant, et voire plus, que les nationaux. Un phénomène qu’il explique par le fait que les immigrants de première génération seraient plus enclins à « faire des sacrifices » pour accéder à la propriété, que ce soit au niveau financier ou par rapport aux critères de sélection du bien en question, comme la taille ou la localisation.
Il rappelle aussi qu’« historiquement, Montréal s’est développée sur des vagues d’immigration successives, donc ce serait un peu étrange de dire qu’ils provoquent un problème alors qu’ils ont construit la ville, à bien des égards et à plusieurs époques ».
Différentes trajectoires
Les problématiques comme celles liées à la crise du logement actuelle pourraient affecter encore plus les personnes immigrantes que celles nées au pays. Car le logement est crucial dans leur installation et leur intégration, à la fois à court et à long terme.
À l’image des parcours migratoires multiples, les trajectoires d’installation des nouveaux arrivants sont tout aussi variées.
Une personne peut immigrer avec un projet immobilier en tête, ou alors commencer par atterrir dans un « quartier tremplin » comme Côte-des-Neiges ou Parc-Extension, à Montréal, avant de repenser sa situation d’hébergement, explique Sébastien Lord. Une autre « figure » répandue est celle de personnes qui vont choisir de ne « peut-être pas avoir le logement parfait, mais maintenir un mode de vie auquel on s’identifie », poursuit-il. Les ressortissants français et européens en général vont, par exemple, être plus attirés par les quartiers avec une forte concentration de commerces de proximité, de cafés, ou les déplacements peuvent se faire à pied, comme le Plateau-Mont-Royal.
Dans d’autres cas de figure, les nouveaux arrivants qui éprouvent plus de difficultés à s’intégrer, notamment à cause de la langue, vont développer « des relations peut-être plus pernicieuses avec le logement et avec l’isolement », affirme le professeur. Les milieux ne sont pas toujours adaptés, et les personnes n’ont pas toujours « les moyens pour pouvoir s’adapter convenablement ». En zone périurbaine, un réfugié n’ayant pas les moyens de se procurer un véhicule pourrait se retrouver dans une situation d’isolement, tout comme une personne ne maîtrisant pas encore le français, si elle est installée dans un quartier à majorité francophone.
Repenser la ville
D’après les recherches menées par Sébastien Lord, beaucoup de nouveaux arrivants veulent s’installer en ville, mais sont vite contraints de prendre le chemin de la banlieue ou de zones pavillonnaires, où sont situés beaucoup d’emplois. Mais ce choix peut aussi se faire sur la base des prix du marché immobilier, ou encore de la taille des logements disponibles.
En ville, les nouveaux arrivants valorisent entre autres l’accès au transport en commun, « à la fois pour se développer la carte mentale de là où on arrive, trouver ses repères, pouvoir accéder à un travail, aller à l’université ou d’autres établissements d’enseignement », expose le professeur.
À Montréal en particulier, le caractère interethnique de la métropole est perçu comme un point positif, tout comme les ruelles, les parcs, les espaces publics ou encore les nombreux festivals. Les participants aux recherches de Sébastien Lord ont aussi applaudi la sécurité, notamment pour les femmes, la nuit. Ce qui compte pour réussir un projet d’installation : « la forme de la ville, mais aussi l’ambiance ».
Aucun lien de cause à effet n’a été démontré entre l’immigration et la crise du logement. L’impact du logement, du quartier et de l’urbanisme sur la réussite d’un projet migratoire est indéniable.
Suivant cette logique, les villes pourraient-elles être pensées pour mieux accueillir les nouveaux arrivants ?
Photo : Maarten van den Heuvel