Comme d’autres au Québec, la Coopérative de solidarité des services à domicile du Royaume du Saguenay est prise dans des vents contraires : leur bassin de main-d’œuvre fond à vue d’œil, tandis que les besoins augmentent avec le vieillissement de population.
Lynda Bélanger travaille à la Coopérative depuis ses débuts, en 1998. Elle y a vu passer bien des hivers, des bénéficiaires et, même, la fusion des deux antennes de Jonquière et de Chicoutimi, onze ans plus tard.
Mais une pénurie de main-d’œuvre aussi critique, la directrice générale n’en avait jamais connu. « J’ai des clients qui se trouvent sur liste d’attente depuis plus d’un an pour recevoir des services » se désole-t-elle, elle qui, pourtant, fait appel au recrutement international depuis l’été 2021.
Répondre à la demande
Entre la préparation des repas, l’entretien ménager, les courses, les soins d’hygiène ou encore la prise de médicaments, la Coopérative fournit environ 260 000 heures de services par an.
Les services sont offerts à domiciles, mais aussi dans plusieurs résidences pour personnes âgées ou hébergeant des personnes vivant avec des limitations physiques. L’une de ces résidences est détenue par la Coopérative, une entreprise d’économie solidaire accréditée pour le programme d’exonération financière pour les services d’aide à domicile.
Malgré une équipe « dévouée » d’environ 250 personnes, dont une cinquantaine sont issues de l’immigration, Lynda Bélanger estime actuellement à 1 400 le nombre d’heures qui pourrait lui être acheté par le réseau de santé publique, et ce, chaque semaine — une demande à laquelle la Coopérative ne peut pas répondre, faute de main-d’œuvre.
Même avant de recruter hors Canada, la Coopérative embauchait déjà parmi les nombreux étudiants internationaux qu’attirent l’Université du Québec à Chicoutimi, le Cégep de Chicoutimi et le Cégep de Jonquière. Un avantage, parce que « pour eux on n’a rien besoin de défrayer, ils ont déjà le droit de travailler », soutient Lynda Bélanger.
Puis, avec la pandémie et la raréfaction de la main-d’œuvre, elle se tourne vers une firme spécialisée en recrutement international, espérant multiplier les embauches.
La Coopérative a ensuite rejoint les Journées Québec Maroc, à Marrakech. « C’était plus facile pour nous autres parce que l’on connaissait la communauté marocaine, on savait que les gens déjà ici allaient pouvoir nous aider à intégrer [les nouveaux arrivants] », explique celle qui est mariée à un immigrant marocain depuis 35 ans. Elle souligne aussi la facilité d’intégration du fait de leur maîtrise du français.
Adaptation
Si l’intégration auprès de l’équipe et des bénéficiaires se passe très bien, d’autres aspects du processus ont dû être repensés.
Elle se souvient, par exemple, qu’aux « premiers qui sont arrivés, on n’exigeait pas qu’ils aient de l’argent, et on pensait pouvoir fonctionner avec le transport en commun », un échec. Ils exigent désormais aux futurs employés d’avoir le montant nécessaire pour s’acheter un véhicule à l’arrivée. Lors des premières embauches, une femme a atterri avec 87 $ CAN en poche.
Au Saguenay, loger les recrues est aussi un enjeu de taille. Pour y arriver, Lynda Bélanger n’a eu d’autres choix que d’user d’ingéniosité : un partenariat a été mis en place avec les résidences pour personnes âgées pour lesquelles travaille la Coopérative. Les chambres qui n’étaient pas louées ont permis d’héberger temporairement les nouveaux arrivants, le temps qu’ils puissent trouver un logement. « C’est comme ça qu’on a réussi à les loger. Sinon, on n’aurait pas pu les faire venir ».
Entre coûts et bénéfices
Deux ans et demi après les premières embauches, « on est maintenant rendus autonomes » en matière de recrutement international, se réjouit Lynda Bélanger. Son équipe s’occupe désormais du recrutement, des démarches administratives, de la logistique à l’arrivée, de l’accueil et de l’installation des nouveaux arrivants. « Notre objectif était de ne plus avoir besoin de passer par des consultants pour faire l’EIMT [évaluation de l’impact sur le marché du travail, NDLR], le CAQ [certificat d’acceptation du Québec, NDLR], toutes les démarches administratives ».
Car lorsque vient le temps de recruter à l’étranger, réduire les dépenses au maximum ne fait pas de mal – surtout pour un organisme à but non lucratif comme la Coopérative de solidarité des services à domicile du Royaume du Saguenay.
« On fait ça pour aider la société et pour aider le réseau de la santé, et qu’on doive payer [plusieurs milliers de dollars par travailleur, NDLR]… c’est là que j’ai de la misère », dénonce la directrice générale. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Coopérative ne recrute pas davantage, même si elle manquera encore d’effectifs pour répondre à la demande après l’arrivée de la cohorte de 27 nouveaux travailleurs attendus en 2024.
La directrice générale déplore aussi un délai de 10 mois minimum pour le processus d’immigration, « pour un dossier qui va bien ». Des démarches qui doivent être en partie renouvelées chaque deux ans, à l’expiration du permis de travail fermé. « De la lourdeur administrative inutile », estime Lynda Bélanger.
Une situation qui ne risque pas de changer de sitôt : avec le vieillissement de la population, le nombre de demandeurs de services à domicile devrait continuer à augmenter jusqu’à 2050.
« On n’a pas de croissance d’employés au niveau du Québec […] donc si je ne vais pas vers l’immigration, on ne passera pas au travers », conclut-elle.
Photo : Andre Ouellet