Si elles veulent attirer et retenir des talents internationaux, les provinces canadiennes doivent se démarquer.
En matière d’immigration, les provinces du Canada sont-elles entrées en compétition pour gagner la course à l’attractivité ? Cette fameuse attractivité, nécessaire à la revitalisation du marché du travail, voire de la survie de certaines régions, entraîne-t-elle des dynamiques saines entre les pouvoirs fédérés ? Éléments de réponse et de compréhension avec Catherine Xhardez, professeure au département de science politique de l’UdeM et codirectrice de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ERIQA).
« Les provinces sont devenues de premiers joueurs »
Il n’y a pas toujours eu de compétition entre les provinces pour attirer et retenir des immigrants : lorsque l’Accord Canada-Québec est signé en 1991 et qu’un certain nombre de compétences en immigration sont transférées au Québec, elle est la seule province à détenir ce type de pouvoirs.
Mais aujourd’hui, les neuf autres provinces et deux territoires peuvent sélectionner eux-mêmes leurs candidats via le Programme des candidats des provinces (PCP). Alors qu’au début des années 2000, seules quelques centaines de personnes étaient concernées par ce programme, ils sont désormais plus de 80 000. En 2026, 120 000 immigrants seront sélectionnés en vertu du PCP, sur un objectif fixé à un demi-million de nouveaux arrivants.
Au Québec, la volonté de contrôle sur le choix des immigrants est motivée par des raisons linguistiques et culturelles, soutient Catherine Xhardez, tandis que « les autres provinces c’est beaucoup plus pour des raisons économiques, démographiques ». Chaque province détermine ses critères de sélection en fonction de ses besoins, et déploie tout un éventail de stratégies pour attirer les candidats à l’immigration y correspondant.
Mais le programme a aussi pour objectif de « mieux répartir les immigrants sur le territoire » canadien, souligne-t-elle, rappelant que la plupart des immigrants s’installent dans les grands centres urbains comme Montréal, Toronto ou Vancouver. Il a par ailleurs un poids variant, comme le révèle un rapport de Statistique Canada, paru en mars 2024 : le PCP constitue quasiment la seule source d’immigration économique au Manitoba et en Saskatchewan, par exemple, tandis qu’il occupe une place moindre en Ontario.
Opération séduction
La « course aux talents » en cours à l’échelle mondiale entre les différents pays d’immigration se reproduit donc, en quelque sorte, entre les provinces du Canada.
Catherine Xhardez décrit par exemple les stratégies marketing qui s’affrontent lors des missions de recrutement à l’international, allant même jusqu’à influencer la « stratégie d’immigration » des intéressés.
La compétition interprovinciale entraînerait également des changements de comportements, tels que le refus d’un candidat ayant eu l’acceptation d’une autre province, ou encore motiverait ici une politique, là un investissement.
Les portefeuilles des programmes en intégration, notamment, pourraient en sortir gagnants. « À la différence du Québec, dans les autres provinces, c’est le fédéral qui subventionne directement des organismes pour l’intégration », explique la professeure, qui affirme avoir vu certaines provinces « prendre leur propre argent » et mettre sur pied des initiatives supplémentaires à celles proposées par Ottawa.
Car si la séduction est au cœur de la compétition, la rétention n’est pas loin derrière.
Rester fédéré
Si elle permet peut-être aux provinces de toucher du doigt leur objectif en matière d’immigration, cette compétition est-elle saine ?
Chez les spécialistes, la fédéralisation et la décentralisation des pouvoirs en immigration font l’objet de tout un débat, rapporte Catherine Xhardez.
Ses défenseurs vantent notamment la capacité de ce système à « mieux adresser les besoins locaux, mieux connaître le marché de l’emploi, être plus flexible [pouvoir] bouger une politique plus rapidement pour faire face à un besoin pressant » ou encore « s’adapter à un besoin linguistique », comme dans les provinces hébergeant une communauté francophone, détaille-t-elle.
D’un autre côté, on croit la décentralisation capable de laisser le champ libre aux gouvernements plus frileux face à l’immigration. Dans ce cas de figure, « parce qu’il n’y a pas de garantie au niveau de l’état central ou de l’état national, les entités [fédérées] vont faire une course vers le bas, offrir moins de droits aux immigrants, faire moins d’efforts », soutiennent ses détracteurs, qui craignent une « atteinte forte au droit des migrants ».
Mais pour l’instant, rassure la professeure, les provinces semblent encore capables de travailler ensemble. Preuve en est, le Programme d’immigration au Canada Atlantique. Et si des tensions se font sentir entre Ottawa et certaines provinces au sujet de l’immigration, le Québec en premier lieu, le système ne semble pas encore avoir atteint un point de rupture.
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