Les consultations publiques pour la planification stratégique de l’immigration au Québec pour la période 2024-2027 ont commencé le 12 septembre 2023, pour une durée de trois semaines. Cette année, 77 mémoires ont été déposés à la Commission des relations avec les citoyens, soit plus du double que lors de la dernière consultation, en 2019.
Pour rappel, le gouvernement propose 12 orientations et deux scénarii développés dans un cahier de consultation :
- Scénario 1 : 60 000 nouveaux résidents permanents par an d’ici 2027, assorti de l’admission en continu des personnes qui demandent la résidence permanente dans le volet « Diplômés du Québec » du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), excluant de fait ces derniers des quotas.
- Scénario 2 : 50 000 personnes admises par an, incluant les diplômés reçus dans le cadre du PEQ.
Voici un aperçu de certains mémoires de terrain, qui nourrissent le débat de la planification stratégique de l’immigration 2024-2027.
Important : Les développements qui suivent n’engagent que les institutions et organismes auxquels ils sont attribués. Ils ne constituent à ce stade que des éléments de réflexion destinés aux autorités, dans le cadre des consultations.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)
Voilà plusieurs années que la FCEI plaide pour une augmentation des seuils d’immigration pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre, et c’est donc sans surprise que l’organisation aux 97 000 membres salue les accents préliminaires donnés au passage à 60 000 personnes admises, de même qu’à la francisation.
Dans son mémoire, la FCEI évoque un déficit de 18 000 personnes immigrantes dans les régions, et le besoin de mieux répartir les nouveaux arrivants sur l’ensemble du territoire.
La FCEI demande aussi la réduction des délais pour les travailleurs répondants aux besoins de main-d’œuvre.
Concernant la francisation, elle plaide pour le retour à une exigence d’un niveau 5 à l’oral aux candidats à l’immigration, au lieu d’un niveau 7, une mesure passée dans le projet de Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration, le 7 juin 2023.
Pour accéder au mémoire de la FCEI
Les chambres de commerce
La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) présente quant à elle 22 recommandations, au nom de 123 chambres de commerce du Québec. Parmi ces recommandations, la FCCQ propose d’augmenter les seuils en fonction de la capacité d’accueil, selon le Scénario 1 du gouvernement. En effet, ce scénario serait « plus réaliste » selon Charles Milliard, le président-directeur général. Il demande cependant que le calcul des seuils soit réalisé en fonction de données fiables et transparentes.
Parmi les autres propositions de la FCCQ : que l’âge maximal pour les candidats à l’immigration soit de 55 ans, que le traitement de la demande de résidence permanente prenne maximum 6 mois, qu’un test de français soit créé, que les employeurs soient consultés pour la francisation.
La question des infrastructures figure parmi les priorités de la FCCQ, comme le développement des logements avec l’aide des partenaires, l’augmentation de l’offre en garderies, l’accès aux services de santé et aux services d’accueil, de francisation et d’intégration.
Quant au Règlement sur l’immigration, la FCCQ salue plusieurs points, notamment l’éligibilité des personnes ayant fait moins d’études à la résidence permanente. Elle demande cependant que le PEQ pour les travailleurs soit maintenu et non remplacé par le PSTQ.
Pour accéder au mémoire de la FCCQ
Comme la FCCQ, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) soutient l’idée d’accueillir 60 000 personnes par an d’ici 2027. Elle met surtout l’emphase sur la capacité du gouvernement à rendre la résidence permanente accessible et de façon plus efficace aux résidents temporaires.
La CCMM soutient aussi l’idée de retirer du calcul des seuils les étudiants étrangers admissibles au PEQ
Appuyant la FCCQ, la chambre propose de créer un tableau de bord des besoins et des résultats en matière d’immigration au Québec.
Pour accéder au communiqué de la CCMM
La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)
La Table, qui regroupe 152 organismes communautaires du Québec, propose de son côté une analyse des effets des politiques d’immigration menées ces dernières années, ainsi que des recommandations pour « un projet de société plus inclusive ».
Elle propose ainsi d’offrir des conditions d’immigration véritablement équitables aux personnes immigrantes, notamment en orientant les mesures et actions en fonction des discriminations liées au genre ou à l’origine.
Parmi les autres recommandations, plusieurs concernent aux mesures sur le français, comme la suppression des 6 mois octroyés aux nouveaux arrivants avant d’accéder à des services gouvernementaux en français seulement et l’accès aux demandeurs d’asile aux cours à temps plein avec allocations de participation. Toujours sur la langue française, il faudrait selon la Table s’occuper des délais d’attente pour les cours de francisation et d’améliorer la francisation en région et sur le milieu de travail.
D’autres propositions se concentrent sur la protection des travailleurs, mais aussi sur la facilitation de l’accès à la résidence permanente.
La Table estime aussi que la reconnaissance des acquis et des compétences devrait être uniformisée et surtout offerte aux individus, quels que soient le niveau d’études ou les compétences.
Concernant la régionalisation, elle propose le développement d’infrastructures comme le transport ou le logement, dont les besoins sont criants partout au Québec.
Enfin, à propos de l’immigration humanitaire, la TCRI recommande de hausser les cibles d’accueil à 22 % des cibles totales, plutôt que de les geler.
Pour accéder au mémoire de la TCRI
Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ)
Regroupant 1 100 entreprises, Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) représente un secteur en difficulté avec près de 23 000 postes vacants. MEQ souhaiterait ainsi que le secteur soit compris dans les secteurs prioritaires, que les formalités administratives soient simplifiées et accélérées ou encore que l’immigration économique soit intensifiée, en fonction des besoins de main-d’œuvre.
Si c’est encore une fois le Scénario 1 qui est souhaité, MEQ recommande d’abord d’exclure les Diplômés du calcul et ensuite d’accueillir 90 000 personnes pendant trois ans pour compenser les effets de la pandémie de COVID-19.
Il appuie l’augmentation de la part de francophones en immigration, mais demande que soient retirées les exigences de français à l’oral. Enfin, MEQ propose d’élargir la francisation avant l’arrivée pour les futurs travailleurs et leur conjoint.
Concernant le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), MEQ demande que le nombre d’heures de formation exigées pour les diplômés soit revu, car ils « limitent le nombre de métiers admissibles dans des métiers en demande ». Le volet « Travailleurs temporaires » pourrait selon eux être assoupli en retirant l’exigence d’expérience de travail.
Pêle-mêle, MEQ souhaiterait que l’employeur puisse se porter garant du loyer de ses travailleurs temporaires ou permanents, ou qu’un incitatif financier soit proposé aux personnes immigrantes arrivées depuis moins de 5 ans pour aller en région.
Pour accéder au mémoire des MEQ
Communauté métropolitaine de Montréal (CMM)
La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) approuve la plupart des orientations du ministère, telles qu’elles sont envisagées dans le Scénario 1. Elle prêche ainsi pour une sélection de personnes immigrantes francophones et jeunes. La CMM s’inquiète des effets négatifs sur la métropole des incitatifs pour les étudiants en région. Elle souhaite que Montréal continue à avoir son rôle d’attraction, rappelant que la ville souffre aussi de la pénurie de main-d’œuvre.
Elle encourage la réduction des complexités administratives pour la rétention, mais aussi l’amélioration de l’accès au logement, aux garderies et soins de santé, dans le but d’améliorer la capacité d’accueil.
Enfin, la CMM rappelle que l’immigration n’est qu’une solution parmi d’autres pour répondre aux enjeux de main-d’œuvre. Elle propose ainsi d’augmenter le taux d’emploi des personnes plus âgées, ou encore l’investissement des entreprises dans le développement des compétences.
Pour accéder au mémoire de la CMM
Conseil du patronat (CPQ)
De son côté, le Conseil du Patronat (CPQ) estime que des ajustements sont à réaliser dans les orientations du ministère, qui concernent par exemple l’immigration permanente, qu’il faudrait privilégier, ou encore le niveau de français demandé, qui devrait être « adapté à la réalité ».
L’emphase sur l’immigration permanente devrait passer par une coordination avec le gouvernement fédéral. Selon lui, la mise en place du Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) est une bonne nouvelle.
Quant à la francisation, le CPQ rejoint les autres organismes pour dire que l’exigence de niveau 7 est trop élevée. Toujours sur le français, le CPQ estime que les formations en entreprise devraient être davantage soutenues.
En adéquation avec le Scénario 1, le CPQ propose que le volet « travailleurs étrangers temporaires » du PEQ soit lui aussi retiré du calcul des seuils.
Pour faciliter la lutte contre la pénurie de main-d’œuvre et soutenir la régionalisation, le CPQ estime que toutes les catégories d’immigration peuvent répondre aux besoins.
Plutôt que de parler de capacité d’accueil, Karl Blackburn, le président et chef de la direction du CPQ propose de travailler à améliorer l’accueil et l’intégration.
Pour accéder au mémoire du CPQ
Amnistie internationale Canada francophone et 20 autres organisations communautaires
21 organisations communautaires se sont regroupées pour demander une immigration humaine. L’une des priorités serait de créer un programme de régularisation des personnes sans papiers. Les délais de traitement pour l’accès à la résidence permanente des personnes réfugiées devaient être réduits, tandis que les seuils d’accueil pour la réunification familiale devraient être augmentés.
Ensuite, elles estiment que l’accès à la résidence permanente devrait être facilité pour protéger la santé et la sécurité des personnes, notamment des personnes sans papiers, qui avaient un statut temporaire, mais l’ont perdu.
Enfin, les organisations souhaiteraient que le gouvernement concrétise son analyse intersectionnelle, selon les sexes et les autres facteurs d’oppression. Si elle est signataire de ce texte, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ajoute dans un mémoire une mention sur la nécessité d’avoir des mesures spécifiques pour les femmes migrantes.
La CSQ demande aussi que les tests de français reconnus par le ministère de l’Éducation soient acceptés par le MIFI. Elle ajoute que les organismes communautaires aidant les personnes immigrantes en région devraient être davantage soutenus.
Dans son mémoire, la Centrale rappelle la nécessité d’investir dans des infrastructures pour accueillir plus de personnes immigrantes, que ce soit la défense des droits, le logement, l’accueil, la francisation, etc. C’est pour elle la manière d’accéder à une immigration plus inclusive.
À l’inverse d’autres organisations, la CSQ demande que l’immigration temporaire soit comptabilisée dans la planification pluriannuelle, afin de garantir les droits de la personne et un accès à la résidence permanente.
L’Union des municipalités du Québec (UMQ)
De son côté, l’UMQ prône une plus grande inclusion des municipalités dans l’immigration et, ce, sur à tous les niveaux (emploi, logement, services et infrastructures, critères de capacité d’accueil).
L’UMQ demande ainsi une bonification du Programme d’appui aux collectivités, afin de le rendre plus équitable, plus flexible pour s’adapter aux besoins locaux (pour financer des actions qui ne semblent à première vue pas rentrer dans les programmes gouvernementaux, par exemple).
L’UMQ plaide pour que l’accompagnement aux personnes immigrantes soit bonifié, sous l’égide d’Accompagnement Québec, notamment pour faciliter la reconnaissance des acquis et des compétences.
À nouveau, les mesures pour la régionalisation de l’immigration devraient être renforcées en fonction « des besoins et la capacité réels des régions », selon l’UMQ. Elle suggère pour ce faire une collaboration interministérielle, ce qui garantirait une intégration réussie et donc une plus grande rétention des immigrés.
Toujours sur la régionalisation, l’UMQ propose la mise sur pied d’un projet pilote pour accélérer l’accès à la résidence permanente via le PSTQ pour les personnes répondant aux besoins de main-d’œuvre en région.
Pour accéder au mémoire de l’UMQ
Commissaire à la langue française
Élu en février 2023, le premier Commissaire à la langue française Benoît Dubreuil a proposé son propre mémoire à la Commission des relations avec les citoyens. En tant que gardien de la langue française au Québec, il se demande si augmenter les seuils d’immigration ne mettrait pas cette dernière en danger.
Il recommande une cible de 85 % de personnes immigrantes qui utilisent le plus souvent le français au travail et dans l’espace public. Une fois cette cible atteinte, la hausse des seuils pourrait se poursuivre. Il propose ainsi un « mécanisme de suivi », par une enquête auprès d’immigrants admis dans l’année.
Il suggère également que les étudiants diplômés d’établissements d’enseignement francophones ne soient pas comptabilisés dans le calcul des seuils. De même, il souhaite que l’on s’assure que les étudiants de 3e cycle inscrits dans un programme en français apprennent bel et bien le français. Cet accent sur le français et le suivi doit aussi s’appliquer aux personnes parrainées, selon M. Dubreuil.
En septembre 2023, la ministre Fréchette avait annoncé que de nouvelles exigences linguistiques seraient probablement demandées aux immigrants temporaires.
Pour accéder au mémoire du Commissaire
Le communiqué du 13 septembre 2023.
Les partis minoritaires
Le parti Québec solidaire (QS) s’attache particulièrement aux régions, proposant un PEQ-Régionalisation et une vision positive de l’immigration. Intitulé Objectif régions, ce programme permettrait d’accéder à la résidence permanente gratuitement si l’on s’installe en région pendant 12 mois minimum, avec l’intention d’y rester.
Le porte-parole Guillaume Cliche-Rivard estime que les arriérés des demandes de réunification familiale devraient figurer dans la Planification, ce qui représenterait 30 000 personnes.
Concernant la francisation, QS propose de renforcer les cours de français payés sur le lieu de travail.
De son côté, le Parti québécois (PQ) estime que des seuils à 50 000 admissions par an sont trop élevés. Quant au Parti libéral du Québec (PLQ), son représentant Monsef Derraji souhaiterait un portrait global et connaître le nombre total de personnes immigrantes chaque année.
Photo : Nik