Avec la saison estivale et la reprise des activités à un niveau quasiment prépandémique, les besoins de main-d’œuvre sont plus pressants que jamais. Plusieurs entreprises québécoises alertent sur la situation, alors que le sujet a supplanté la COVID dans les manchettes. Quel en est l’état ?
Les sondages auprès des entreprises du Québec se succèdent, et tous émettent le même constat. Deux PME sur trois sont touchées par la pénurie de travailleurs, selon un sondage réalisé en avril par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). De fait, les chiffres ne trompent pas. 181 000 postes étaient vacants à la fin du premier trimestre de 2021, comparativement à 150 000 en 2020 et 114 000 en 2019.
« Certains gestionnaires refusent des contrats, d’autres annulent des investissements. Dans plusieurs secteurs, les entreprises doivent réduire les heures de leurs employés ou faire des fermetures prolongées », nous rapporte Karl Blackburn, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ).
74 % des entreprises affirment avoir des postes vacants dont l’annonce est affichée depuis plus de 90 jours, selon un sondage publié en juillet 2021 par la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ). Ces conséquences sont alarmantes pour Karl Blackburn, car la production et donc l’économie du Québec sont impactées.
Quels sont les besoins cet été ?
L’assouplissement des mesures sanitaires, la progression du vaccin et l’arrivée de l’été ont permis à l’économie québécoise de repartir. Statistique Canada prévoit une relance progressive de l’économie à mesure que le pays sort de la pandémie.
Les dernières données publiées début juillet montrent que l’emploi progresse au Canada. Lors de la publication de l’État d’équilibre du marché du travail 2020-2023, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) prévoyait une relance de l’économie durant l’été 2021. Le document entrevoit un retour à la situation prépandémique d’ici la fin de l’année, mais cette prévision reste plus qu’incertaine.
Déjà au début des années 2000, on prévoyait que la pénurie atteindrait son apothéose entre 2020 et 2030. En 2019, on prévoyait que 1,4 million de postes seraient à pourvoir d’ici 2028. Et c’est sans compter les conséquences de la pandémie, qui a déjà causé la perte de nombreux emplois difficiles à récupérer (en tourisme, par exemple) et qui risque ainsi de changer durablement le marché du travail. « La pénurie existait avant la pandémie et elle va continuer après », rappelle Karl Blackburn. Elle est d’abord liée au vieillissement de la population, et aux nombreux départs à la retraite.
Miser sur l’intégration
Cette année, le gouvernement a de nouveau fait de l’immigration un dossier central de sa politique. Il a maintenu son cap, visant à mieux accueillir et surtout mieux intégrer les nouveaux arrivants. Et il est vrai que les mesures se multiplient en ce sens : la francisation, le Programme d’aide aux collectivités (PAC), l’accès à la RAMQ pour tous les enfants de personnes immigrantes, le guichet unique pour la reconnaissance des acquis et des compétences, pour n’en citer que quelques-unes.
En avril 2021, le ministre Jean Boulet expliquait sa volonté de simplifier les demandes de permis de travail pour certains métiers et professions. Il s’agissait alors de retirer le besoin de remplir l’étude d’impact du marché du travail (EIMT), mais il n’y a aucune nouvelle sur ce point.
De même, les conditions de maîtrise du français risquent d’être assouplies pour certains travailleurs étrangers. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) avait laissé entendre cela en mai dernier, mais rien n’a encore été annoncé officiellement.
Enfin, c’est sans oublier l’argent injecté pour des projets pilotes en immigration permanente (transformation alimentaire, intelligence artificielle) à certains secteurs en demande, comme celui des technologies de l’information en mai 2021, comme l’a annoncé le MTESS ou encore la priorité donnée à la régionalisation de l’immigration, afin que celle-ci profite aussi aux entreprises établies en dehors du Grand Montréal.
Au-delà de l’immigration
Longtemps, on a pensé que l’argent était le nerf de la guerre. Offrir de meilleures conditions salariales pour attirer les travailleurs, c’est déjà ce que des entreprises de région font. Et si c’est une idée qui fait son chemin pour valoriser certains emplois peu qualifiés, Karl Blackburn la balaie sans hésiter : « Augmenter les salaires n’est pas le seul élément pour pallier la pénurie. Dans certains cas, oui on peut, mais cela va créer des transferts d’employés entre entreprises et alimenter une spirale de l’inflation. »
Même constat pour le ministre Jean Boulet, pour qui les entreprises peuvent aussi améliorer les conditions de travail pour combler leurs besoins.
De la même manière, le gouvernement tente de répondre aux besoins, notamment sectoriels, sur plusieurs fronts, au-delà de l’immigration. Parmi eux, l’autonomisation et la numérisation, mais aussi la formation, le rehaussement, voire la requalification des travailleurs déjà présents au Québec.
Selon le sondage de la FCEI, 63 % des PME interrogées peinent à trouver des candidats dont les compétences répondent à leurs besoins. Pour pallier ce problème, plus de 45 millions de dollars ont été investis pour deux le Programme de formations de courte durée (COUD) et le Programme d’aide à la relance par l’augmentation de la formation (PARAF). Une idée saluée par le CPQ.
Un écart qui se creuse ?
« Le gouvernement va dans le bon sens avec ces mesures de compétences et de formation. C’est important, mais l’immigration l’est aussi », déclare Karl Blackburn pour exprimer qu’il est pour lui crucial d’augmenter les seuils d’immigration. Lui-même a d’ailleurs récemment publié ses « 10 solutions à la pénurie de main-d’œuvre au Québec ».
Après avoir soufflé la possibilité de relever les seuils d’immigration pour 2021, le gouvernement s’est finalement ravisé le 14 juin dernier, jetant un certain froid parmi les entreprises. Rappelons que, selon le sondage de la FCCQ, 62 % d’entre elles estiment que les seuils devraient être augmentés.
Avec les seuils maintenus, jusqu’à 47 500 personnes immigrantes sont attendues en 2021, auxquelles on doit ajouter les 7 000 personnes additionnelles qui n’ont pas pu venir en 2020 à cause de la pandémie. Pour Karl Blackburn, l’écart se creuse entre les personnes accueillies et le nombre de postes vacants. « Sur les 1,4 million de postes à pourvoir d’ici 2028, on estime que 22 % doivent provenir de l’immigration, selon un sondage qu’on a réalisé avec nos membres », poursuit-il.
Pour en savoir plus
Le gouvernement a mis en place l’outil en ligne « En action pour la main-d’œuvre ». Sur cette page, il est possible de connaître les besoins spécifiques de chaque région, de connaître quelles mesures et actions du gouvernement vous concernent selon vos besoins, que vous soyez étudiant, immigrant ou gestionnaire d’entreprise.