Au printemps 2022, Québec annonçait de nouvelles mesures visant à attirer les étudiants internationaux dans la province, en particulier en région. Les conditions sont-elles pour autant réunies pour les y accueillir — et les intégrer sur le long terme ? Au collégial, notamment, de nombreuses questions demeurent.
Le nombre d’étudiants internationaux inscrits dans les établissements collégiaux (publics et privés) de la province est passé de 3 520 en 2011 à 16 505 en 2019, d’après les chiffres du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES), relevés à la session d’automne.
Dans la région de Montréal, cette hausse est particulièrement marquée dans les établissements privés non subventionnés, et auprès des institutions dont la langue d’enseignement est l’anglais. Une tendance en partie attribuable au recours à des firmes privées de recrutement aux « méthodes agressives », analyse le chercheur Éric N. Duhaime, que nous avons interrogé, et qui signait en 2021 un rapport intitulé Les étudiants internationaux au collégial : portrait, tendances et enjeux, réalisé pour le compte de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).
Objectifs et moyens en tension
Le réseau d’enseignement public (cégeps) domine quant à lui dans les régions éloignées du Québec. On y observe également une hausse relative assez importante du nombre d’étudiants étrangers sur l’ensemble des effectifs étudiants du collégial.
Le gouvernement du Québec encourage cette « internationalisation » du réseau collégial depuis plusieurs décennies, et ce, particulièrement à l’extérieur des grands centres urbains, selon Éric N. Duhaime. Pour autant, ce dernier regrette l’évolution des positions officielles, d’aspirations originelles qu’il qualifie d’« humanistes », c’est-à-dire qui visent à « assurer une certaine ouverture sur le monde, à favoriser un échange des cultures […], mais aussi à assurer un certain rayonnement de la culture québécoise à travers le monde », vers la priorisation d’objectifs plus « pragmatiques ».
De fait, le recrutement d’étudiants étrangers dans les cégeps de région serait aujourd’hui d’abord perçu comme un moyen de faire face à la baisse d’effectifs étudiants québécois, et « à combler des besoins particuliers en main-d’œuvre dans certaines régions ciblées », soutient le chercheur, qui rappelle que les étudiants étrangers au collégial sont eux aussi, en principe, autorisés à travailler jusqu’à 20 heures par semaine durant leurs études.
Une solution qui ne peut être partielle, croit Éric N. Duhaime. Il souligne entre autres que la pandémie a démontré la « volatilité des étudiants internationaux » et rappelle que « la mission première des cégeps est avant tout l’enseignement ».
Financement insuffisant
Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a annoncé, le 22 mai 2022, une série de mesures d’exemption de droits de scolarité destinée à encourager les étudiants étrangers à s’inscrire dans un programme postsecondaire francophone en région. À compter de l’automne 2023 et pour 4 ans, le gouvernement souhaite appuyer le français comme langue d’enseignement au Québec, notamment au collégial, tout en soulageant la pénurie de main-d’œuvre en région, alors que le Grand Montréal accueille environ 90 % des étudiants étrangers de la province.
La hausse du nombre d’étudiants internationaux dans les cégeps des régions éloignées répond néanmoins aux besoins de ces établissements, dont le financement dépend en partie des taux d’inscriptions. Mais, à la question de l’attraction des étudiants étrangers en région se pose un autre enjeu : celui des ressources que les établissements sont en capacité de mobiliser pour faciliter l’accueil et l’intégration, qui sont insuffisantes selon le rapport.
Parmi les objectifs du MIFI, la réduction des frais de scolarité prévue « n’est pas inintéressante », commente Éric N. Duhaime. Il affirme cependant que de telles exemptions sont déjà répandues auprès des étudiants étrangers qui choisissent les cégeps de région, et rappelle que ces stratégies d’attraction ne peuvent être mises en place sans « bonnes mesures d’accueil et d’accompagnement », qui se jouent principalement au niveau des établissements et de la société d’accueil.
« Tous les cégeps ont droit à une enveloppe de 50 000 $ CAN [pour l’accueil et l’accompagnement des étudiants internationaux], mais les cégeps de certaines régions plus éloignées ont droit à 40 000 $ CAN additionnels », explique le chercheur. Mais son étude relève dans le même temps que ces établissements déboursent parfois des montants deux à trois fois supérieurs, qu’il s’agit alors de financer.
Or, si des frais de scolarité réduits et l’autorisation d’occuper un emploi à mi-temps, comme n’importe quel permis d’études, en région ou non, sont un bon point de départ, l’établissement durable d’étudiants étrangers en région va nécessiter davantage d’efforts, à la fois de la part des établissements d’enseignement et de la société d’accueil. Des efforts qui leur sont difficiles à mettre en œuvre, dans les faits, tant le budget généralement alloué à l’attraction des étudiants laisse peu de marge de manœuvre au profit de l’embauche de plus de personnel affecté aux étudiants étrangers, ou encore d’actions de préparation des étudiants étrangers à leur arrivée, ainsi que celui de l’accueil/intégration sociale et professionnelle, pendant leurs études — et après.
Des messages contradictoires à destination des étudiants étrangers
Les étudiants qui souhaitent rester au Québec après l’obtention de leur diplôme et intégrer le marché du travail doivent encore surmonter un certain nombre de difficultés, au-delà de celles que plusieurs vont éprouver à l’égard de la communauté locale — y compris avec les étudiants québécois.
Alors que le Québec fait face à une pénurie de main-d’œuvre importante, certaines ambitions affichées peuvent sembler contradictoires. L’accès au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), la première étape vers la résidence permanente et donc la stabilisation d’un statut d’immigration, a été durci en 2019 pour les travailleurs comme pour les étudiants, notamment au collégial, à qui on demande aujourd’hui une expérience de 18 mois de travail à temps plein en plus de leur diplôme.
Depuis, et de manière générale, les signaux envoyés aux étudiants étrangers sont plutôt déroutants à l’endroit des candidats aux études au Québec, entre :
- les taux astronomiques de refus de permis d’études pour les francophones en provenance d’Afrique,
- le non moins astronomique nombre de permis d’études délivrés à des étudiants indiens non francisés, pourtant destinés à venir étudier au Québec (en anglais),
- les débats sur l’application ou non de la Loi 101 aux cégeps anglophones (et les mesures compensatoires finalement actées à leur égard), ou encore
- le resserrement de l’accès au permis de travail post-diplôme aux seuls étudiants ayant obtenus un diplôme dans un établissement d’enseignement désigné subventionné, et ce dès l’automne 2023.
Autant de prises de position qu’il va s’agir à présent de clarifier et d’expliquer avec soin aux intéressés. Car, au final, qui a le plus à perdre d’une situation dans laquelle les étudiants commencent à douter au point, pour certains, de se détourner des établissements d’enseignement québécois ?
Un premier pas vers la rétention
S’il ne s’agit pas de la seule solution à la baisse d’effectifs étudiants et à la pénurie de main-d’œuvre, une meilleure intégration locale des étudiants internationaux au collégial permettrait de faciliter leur rétention et leur intégration au marché du travail.
Parmi ses recommandations, Le rapport de l’IREC souligne notamment l’importance « que le gouvernement du Québec établisse et rende public un bilan financier approfondi de la situation des cégeps en matière de recrutement, d’accueil et d’accompagnement des étudiants internationaux afin de déterminer une formule qui permettra, à l’avenir d’en assurer un financement adéquat et en fonction d’objectifs déterminés », de façon à offrir « au niveau national des normes minimales en ce qui concerne les mesures d’accueil et d’accompagnement des étudiants internationaux ».
Des mesures qui sont, comme le rapporte l’étude, d’une importance capitale aux yeux des étudiants dans leur intégration et dans leur réussite.