
Le rapport déposé à l’Assemblée nationale, en mai 2025, par le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, est sans équivoque : la francisation en entreprise coûte trop cher et ses résultats sont insuffisants. En 2024-2025, elle représentait 4,3 % du budget de Francisation Québec, soit 12,6 millions de dollars.
En point de presse, le commissaire appelait à réévaluer les subventions aux employeurs, en laissant entendre qu’ils ne perdraient pas la « motivation » à accompagner leurs travailleurs dans l’apprentissage du français.
Répondre à la demande du secteur
La motivation, Geneviève Gélinas, coordinatrice de la formation à ÉvoluPêches, l’a définitivement observée chez les entreprises du secteur des pêches maritimes quand, en 2023, ÉvoluPêches obtient le financement du Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre pour développer un programme de francisation en entreprise.
Elle estime autour du millier le nombre de travailleurs étrangers temporaires saisonniers embauchés par l’une ou l’autre des usines de transformation des produits de la mer de la province. Ils restent en moyenne 5 à 8 mois en poste, et ils sont nombreux à revenir chaque année.
« Le fait de ne pas parler français dans la société d’accueil, dans le milieu de travail, ça rendait ces gens-là vulnérables, et ça limitait leur progression de carrière », illustre Geneviève Gélinas. Les franciser est donc apparu comme une évidence pour le comité sectoriel, et les employeurs ont suivi : « ils se sont rendu compte que ça valait la peine [de les franciser] pour les retenir : quand on forme les travailleurs, qu’on montre qu’on se soucie d’eux et de leur avenir dans l’entreprise en les francisant, ils ont davantage tendance à revenir l’année suivante », assure-t-elle.
« Il y a des résultats »
Avant le programme porté par le CSMOPM, les services de francisation étaient peu développés dans les territoires ruraux où se déploie le secteur des pêches, se souvient Geneviève Gélinas. La première étape, pour leur partenaire des Centres de services scolaires locaux, est donc de recruter et de former du personnel enseignant.
En parallèle, ils développent du matériel pédagogique adapté à la réalité des travailleurs, avec un contenu propre à la transformation des produits marins, plus axé sur la maîtrise de l’oral que de l’écrit.
« Un employé qui comprend bien les consignes, qui est capable de s’exprimer, va avoir une meilleure productivité: il va faire moins d’erreurs, va être plus autonome, plus polyvalent, va avoir moins d’enjeux de santé et de sécurité, mais aussi nouer plus de liens avec ses collègues, son environnement […] et mieux fonctionner dans la société »
Geneviève Gélinas, coordinatrice de la formation, ÉvoluPêches
Pour y arriver, les équipes d’ÉvoluPêches et des Centres de services scolaires proposent aussi des horaires de cours flexibles et compatibles à la réalité du secteur : des périodes de travail intense durant les saisons de pêche ; l’imprévisibilité des arrivages, donc des besoins en transformations…
Le coût de ce service sur mesure ? Les employés sont rémunérés à leur plein salaire, et l’employeur ne paie que les charges sociales et des frais d’inscription de 45 dollars par participant, par « bloc » de 60 heures de francisation. Et ses résultats jusqu’à présent ? Des progrès en français pour 1 185 travailleurs, rattachés à 38 employeurs.
Investir pour l’avenir
Le prochain défi à relever : « la rétention des acquis d’une année à l’autre », selon Geneviève Gélinas. Hors-saison, les travailleurs ont déjà accès à pléthore de matériel pédagogique en ligne, depuis leur pays d’origine.
« Si la francisation est adaptée aux besoins des travailleurs et des employeurs, ça va bien marcher, parce que la volonté est là des deux bords ».
Geneviève Gélinas
Pour aller plus loin, elle souhaiterait voir la formation se poursuivre à distance, tout au long de l’année. Un projet-pilote visant le recrutement de travailleurs du secteur de la transformation des produits de la mer, mené par le CSMOPM en partenariat avec le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) et le Service national de l’Emploi (SNE) au Mexique, prévoit par ailleurs la possibilité aux employés recrutés de commencer la francisation avant leur arrivée au Québec. À l’hiver 2025, une cinquantaine de travailleurs étrangers temporaires ont pu en bénéficier.
Photo : NOOA
