Notre série sur l’emploi en région nous mène cette fois au cœur de ce territoire immense et méconnu qu’est l’Abitibi-Témiscamingue. Comme le soulignent les deux acteurs locaux que nous avons rencontrés, il s’agit du défi le plus important que connaît actuellement la région.
Si l’Abitibi-Témiscamingue était un pays, elle serait le 128e plus grand du monde sur 250. Sa superficie de plus 57 000 km2 est justement un enjeu de taille dans ce territoire situé au-dessus de l’Outaouais et à la frontière de l’Ontario.
Une caractéristique qui peut être un défi, mais aussi un atout pour attirer des personnes immigrantes. « Nous avons beaucoup de place, c’est une terre d’accueil extraordinaire », explique Paul-Antoine Martel, conseiller en relation avec les milieux à la Ville de Val-d’Or. Construite loin des grands centres, l’Abitibi-Témiscamingue possède une tradition d’immigration. « C’est inscrit dans nos gènes de faire de la place. La communauté est tissée serrée », ajoute-t-il.
Seulement, l’Abitibi-Témiscamingue est une région méconnue. « C’est la région qui subit le plus de préjugés », regrette Guillaume Gonzalez, agent de projets multiculturels au Carrefour Jeunesse Emploi du Témiscamingue.
Quels sont les secteurs en demande ?
Dans une région dominée par les mines et les secteurs forestier et agricole, les secteurs en demande sont pour autant les mêmes que dans le reste du Québec. Au-delà des traditionnels domaines de la restauration, de l’hôtellerie, du tourisme et de la santé, chacune des cinq municipalités régionales de comté (MRC) possède ses spécificités, mais aussi ses forces et ses faiblesses en termes d’accueil et d’intégration.
Au Témiscamingue, par exemple, il n’y a pas de mines, et ce sont les secteurs agricole et forestier qui dominent. « Il y a peu de relève dans le secteur agricole, ce sera un enjeu dans le futur » soulève Guillaume Gonzalez.
Au contraire des autres MRC, où les travailleurs immigrants sont nombreux, l’accompagnement des entreprises et la sensibilisation à l’intégration commencent tout juste au Témiscamingue. « Nous avons de plus petites entreprises qui commencent seulement à avoir besoin de personnes immigrantes », explique M. Gonzalez.
Continuum
Dans les autres MRC, le travail est déjà amorcé depuis plus de 10 ans, soutenu par la présence de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue à Rouyn-Noranda, qui a accueilli 4 434 étudiants étrangers en 2019, avant la pandémie. Paul-Antoine Martel prône également le travail du Centre de Formation professionnelle de Val-d’Or, qui accueille 80 personnes de l’étranger par an. « Les gens du Centre recommandent tout de suite les nouveaux arrivants au CJE ou à moi, pour les mettre en relation avec d’autres personnes immigrantes. Le Centre leur donne aussi des fiches informatives sur les services et les transports en ville », précise-t-il.
Avec leurs programmes d’accueil, les agents comme Paul-Antoine Martel créent des ponts entre les nouveaux arrivants. « Le Programme d’appui aux collectivités du ministère de l’Immigration nous a beaucoup aidés, et cela permet de voir l’immigration comme un continuum », se réjouit-il. L’Abitibi-Témiscamingue a reçu plus de 285 000 $ CAN dans le cadre du PAC cette année.
Les initiatives menées portent leurs fruits, selon M. Martel : « Les entreprises prennent conscience que les travailleurs étrangers sont un des êtres humains avec un projet et une famille ».
Conscientisation
Pour Paul-Antoine Martel, si beaucoup de projets ont été mis en place, il faut « donner le deuxième coup de roue ». « Nous avons développé des réflexes, mais la pandémie nous a fait perdre le rythme. Maintenant, il faut regarder ce qui a bien fonctionné, se concerter et miser dessus », estime-t-il.
La sensibilisation des employeurs continue d’être un gros enjeu pour les CJE, qui se chargent des relations avec les entreprises. « On leur dit que c’est tout un défi d’embaucher une personne immigrante et que l’accompagnement est essentiel », rapporte Guillaume Gonzalez. Son cheval de bataille est de conscientiser les PME. L’embauche de travailleurs étrangers demande plus de travail, et « chacun doit faire un pas vers l’autre ». Pour ce faire, les CJE travaillent actuellement sur une formation sur la gestion de la diversité culturelle en entreprise.
Un manque de places
Autre enjeu en cours en Abitibi-Témiscamingue, le logement. « Nous avons la capacité de recevoir des gens ici et nous avons besoin de nouveaux arrivants, mais il n’y a pas de place », explique Paul-Antoine Martel qui précise que le parc immobilier vieillit et que la région aura besoin de plus 1 000 logements d’ici 2 ans. Dans la région comme dans d’autres, c’est le logement locatif qui manque. M. Martel raconte cependant que les personnes immigrantes s’en sortent en s’entraidant. Guillaume Gonzalez pointe aussi l’absence de garderies et de places. « C’est un problème qui touche plusieurs régions au Québec, mais aussi les personnes nées ici, mais c’est plus difficile à vivre pour les familles immigrées, qui n’ont pas de famille ou d’amis pour les aider lorsqu’ils viennent d’arriver ». |
Faire rayonner la région
Confortés par tous ces efforts, les acteurs de la région attendent désormais plus de monde. Selon le recensement de 2016, la région comptait 2 135 personnes immigrantes. Faire rayonner la région, c’est le défi majeur des acteurs du milieu. Il s’agit pour ce faire de briser les préjugés et de « rendre la région plus attractive ».
Ils misent ainsi sur la collaboration et l’union pour s’imposer face aux autres régions. Les cinq MRC se sont alliées sous la bannière Abitibi-Témiscamingue, dont relèvent les CJE. « Nous avons aussi déjà accompagné une entreprise dans un salon de l’emploi : elle parle du travail, nous présentons le territoire », explique Guillaume Gonzalez.
Pour Paul-Antoine Martel, il faudrait que les organismes de régionalisation basés à Montréal parlent plus de sa région : « Nous devons nous insérer dans les réseaux de régionalisation et outiller ces organismes pour qu’ils soient de meilleurs ambassadeurs ».
En 2019, pour pallier cette situation, la région a créé une agence d’attractivité qui sert de vitrine à la région et aux MRC, et qui a pour mission d’attirer des étudiants comme des travailleurs déjà au Québec aussi bien qu’à l’étranger. « Un autre filon à suivre serait celui du recrutement international, mais cela va nécessiter que l’on se regroupe », estime Paul-Antoine Martel.