Face à la crise du logement, des employeurs et des organisations de toute la province se mobilisent pour trouver des solutions innovantes pour héberger les travailleurs recrutés à l’international.
« Le terme pénurie de main-d’œuvre fait partie de notre vocabulaire depuis longtemps », affirme Anne-Renée Meloche, vice-présidente aux ressources humaines et aux communications de l’entreprise familiale spécialisée en aéronautique.
Un terme qu’elle conjugue avec le recrutement à l’international, pratiqué par le Groupe Meloche depuis 2013. Pourtant, jusqu’à récemment, l’entreprise n’a jamais éprouvé de difficulté à loger les travailleurs recrutés à l’étranger.
Cette évolution, Anne-Renée Meloche l’attribue notamment au fait de ne plus embaucher que des Français, « à la base un peu plus autonomes » que des travailleurs non francophones. « On les accompagnait un petit peu, mais c’était vraiment un minimum, ces gens-là trouvaient un logement par eux-mêmes avant d’arriver », dit-elle.
Mais ce n’est pas tout ce qui a changé.
Prise en charge
Pénurie de logements locatifs, loyers inabordables, rénovations ou fraudes immobilières… Les locataires de toute la province subissent de plein fouet les conséquences de la crise du logement. Particulièrement vulnérables, de nombreux travailleurs étrangers temporaires (TET) dépendent de leurs employeurs pour trouver un hébergement.
Pour le Groupe Meloche, la situation est devenue intenable à compter de 2018, lorsqu’ils accélèrent les recrutements à l’international. Avec dix travailleurs allophones arrivés en même temps, il est « inenvisageable » de ne pas les accompagner dans la recherche d’hébergement.
Anne-Renée Meloche et son équipe s’inspirent d’autres entreprises de la région, et commencent à louer des maisons et des appartements, par la suite sous-loués à prix coûtant aux nouveaux arrivants.
En général, cette solution d’hébergement leur est offerte pour une période d’environ six mois. Arrivée à échéance, si un lit est toujours disponible, un travailleur désireux de rester ou en attente d’une autre solution d’hébergement peut continuer à en bénéficier, détaille Anne-Renée Meloche. « Au bout des six mois, dit-elle, ils sont souvent suffisamment outillés pour trouver un logement par eux-mêmes ».
Le système d’hébergement temporaire mis en place par le Groupe Meloche « leur permet d’avoir un pied à terre en arrivant et de pouvoir se concentrer sur tout le reste », poursuit-elle, soit l’entrée en emploi, l’apprentissage du français, la recherche d’un hébergement à long terme, ou encore les démarches pour faire venir leur famille.
À Hemmingford, où se trouve l’une des quatre installations de l’entreprise, ils sont par exemple huit travailleurs à se partager une maison, pour des loyers allant de 200 à 400 dollars mensuellement. « Ça leur permet de commencer à amasser des sous pour la vie en famille », même s’ils se retrouvent parfois à devoir investir dans un permis de conduire ou un véhicule, du fait de l’éloignement des lieux de vie disponibles avec le lieu de travail, et de devoir parfois partager une chambre à deux.
Soutien inégal
Pour l’entreprise, la solution est loin d’être parfaite. « Si on veut être sûrs d’avoir nos logements à temps avec la pénurie, on va [en] louer un en avance, ou bien on va en louer un, et six mois après il est à moitié vide », décrit Anne-Renée Meloche. Les coûts, estimés à environ 50 % des frais de location, sont ainsi inclus dans les frais de recrutement.
La vice-présidente aux ressources humaines et aux communications aimerait aussi éviter de faire appel aux services de promoteurs immobiliers, afin d’assurer des loyers les plus abordables possibles pour ses employés.
Par ailleurs, elle admet recevoir peu de soutien d’organisations gouvernementales ou non gouvernementales sur les enjeux d’hébergement. Loin de blâmer les organismes spécialisés en immigration, elle croit simplement que certaines d’entre elles ont été « prises de court par la situation ». À Valleyfield, notamment, où se trouvent les infrastructures les plus importantes du groupe, elle a l’impression que l’arrivée de travailleurs étrangers temporaires est « venue comme un cheveu sur la soupe ». Elle reconnaît que le soutien est « inégal en fonction des régions » et que le réseau associatif est plus développé dans les zones où l’immigration est moins récente.
Impliquer les citoyens
La région de Granby, par exemple, n’en est pas à ses débuts en matière d’accueil. C’est d’ailleurs le berceau d’un programme d’hébergement temporaire innovant, destiné aux travailleurs étrangers temporaires.
Il y a deux ans, l’équipe de Granby Industriel a mis sur pied un dispositif permettant aux citoyens de Granby de loger des travailleurs nouvellement arrivés pour des périodes de 30, 60 ou 90 jours.
L’idée a été inspirée par une pratique déjà répandue auprès de Cégeps accueillants des étudiants internationaux, plus spécifiquement celui de Saint-Jean-sur-Richelieu, raconte Gloria Amparo Brand Escobar, agente de liaison chez Granby Industriel.
À la demande d’une entreprise du secteur industriel, l’organisme de développement économique commence les démarches avec des citoyens volontaires, contactés et rencontrés en amont par Granby Industriel. Une fois que l’équipe aconstaté que les conditions nécessaires à la bonne installation du travailleur étranger sont réunies, que l’endroit est conforme, propre, et que le travailleur est en sécurité pendant son séjour », explique l’agente de liaison, une rencontre et une visite en visioconférence sont organisées avec le travailleur. « On demande au propriétaire de fournir une chambre toute meublée, parce que le travailleur arrive ici et n’a absolument rien », précise Gloria Amparo Brand Escobar. Les prix sont fixés par les propriétaires, mais l’organisme s’assure qu’ils ne soient pas « abusifs », poursuit-elle.
« Ça permet aux citoyens granbyens de connaître une nouvelle culture, d’aider une personne à s’intégrer. Et pour les travailleurs, c’est formidable parce qu’il se sent en famille, il se sent accompagné. Il n’est pas tout seul, isolé. En date d’aujourd’hui, on peut dire que notre bilan est vraiment positif », dit-elle. Certains propriétaires prolongent les ententes de location au-delà des 90 jours maximum prévus par le programme, et les volontaires continuent de se manifester. En mai 2023, une quarantaine de travailleurs étrangers temporaires étaient logés par le biais du programme.
Réhabiliter pour mieux héberger
Du côté du Groupe Meloche, l’option de racheter des bâtiments « semi-abandonnés ou pas exploités à leur plein potentiel » pour les reconvertir en lieux d’hébergement n’est pas exclue, à l’image d’autres employeurs de la province. Anne-Renée Meloche a notamment repéré un couvent, un motel et un presbytère.
Héberger des travailleurs étrangers temporaires dans ce type de bâtiments, en plus de répondre au besoin criant de logements, aurait comme avantage d’offrir un lieu de rassemblement aux nouveaux arrivants, de créer une « communauté ». Un lieu de vie qui faciliterait aussi la mutualisation de besoins comme le transport, pense Anne-Renée Meloche.
« On verrait vraiment [le rachat et la rénovation de bâtiments délaissés] comme une stratégie. D’un autre côté, on est tellement occupé à gérer nos arrivées », nuance celle qui pourrait envisager de lancer ce projet en collaboration avec d’autres entreprises de la région.
« C’est beaucoup de travail, le recrutement international ! », s’exclame-t-elle.