Pour faire face aux défis posés par les besoins en main-d’œuvre, Qualifications Québec a mis en place un service de consultance à l’attention des entreprises. Avec le temps, l’organisme référence en matière de reconnaissance des compétences a réalisé que les demandes qu’il fallait pallier devenaient de plus en plus spécifiques. Cela a donné naissance aux continuums de services, des parcours intégrés d’aide au recrutement et à la mise à niveau de travailleurs étrangers spécialisés formés à l’étranger. France Dussault, directrice générale de Qualification Québec, nous en explique le fonctionnement.
Immigrant Québec : En quoi consiste le service offert par Qualification Québec aux entreprises ?
France Dussault : La pénurie de main-d’œuvre généralisée que connaît actuellement le Québec pousse les entreprises à recruter davantage à l’étranger. D’un organisme d’accompagnement des personnes issues de l’immigration qui cherchent à faire reconnaître leurs compétences, nous avons été amenés à proposer nos services auprès des entreprises qui les embauchent.
L’un des objets de la consultance est de s’assurer que les compétences acquises à l’étranger soient en adéquation avec celles requises pour travailler le plus rapidement possible, au sein des entreprises québécoises en demande. Certains emplois sont régis par une instance de réglementation, un ordre professionnel par exemple, tandis que d’autres, même s’ils ne le sont pas, nécessitent tout de même une formation bien précise.
Nous proposons donc ce concept de continuum de services pour donner l’heure juste aux employeurs, afin que leurs employés travaillent le plus rapidement possible à la hauteur de ce qui est attendu, à la hauteur de leurs compétences.
IQ : Justement, quels sont les organismes qui reconnaissent ces compétences ?
FD : Ils sont de plusieurs types.
Pour commencer, il y a les établissements scolaires. À partir des acquis scolaires et expérientiels, il est possible de se voir reconnaître des compétences pour l’obtention éventuelle d’un diplôme québécois.
Ensuite, on a les instances de réglementation, par exemple, la Commission de la Construction du Québec, les ordres professionnels, pour les professions réglementées. Avec une reconnaissance immédiate ou à la suite d’une formation d’appoint prescrite par l’instance, les personnes issues de l’immigration peuvent avoir accès à la pratique de leur métier réglementé.
Enfin, les employeurs eux-mêmes : dès lors qu’ils engagent quelqu’un, reconnaissent leurs compétences. Toutefois, les grands employeurs ont bien souvent des plans de classification à respecter lors de l’embauche, exigeant l’équivalent d’un diplôme québécois donné.
IQ : Pourriez-vous développer la notion de « continuum » évoquée plus haut ?
FD : Nous sommes témoins des enjeux des employeurs lors de la consultance que nous leur proposons, et nous apportons des solutions à leurs besoins spécifiques.
Prenons un cas bien précis avec la demande récurrente de professionnels dans le domaine de la science des données. Forts de ce constat, nous allons mettre en place un écosystème de partenaires pertinents et nous allons nous positionner au début de ce continuum. Le continuum repose ici sur deux importants principes : bien faire fonctionner l’écosystème de ces partenaires afin d’optimiser la reconnaissance des futurs scientifiques des données et bien accompagner de façon personnalisée les candidats issus de l’immigration au travers de la formation d’appoint jusqu’à l’intégration en entreprise.
Nous interrogeons d’abord notre base de données des personnes immigrantes avec leurs compétences qui sont cartographiées. Une fois que nous avons identifié les personnes dont le profil correspondrait, nous les appelons et leur demandons s’ils seraient intéressés à faire partie de ce continuum.
Nous leur expliquons que nous allons les accompagner dans le cadre d’une formation d’appoint. C’est là qu’interviennent les partenaires que sont les établissements de formation. Dans ce cas précis, il s’agit de l’Université de Montréal et du Collège Ahuntsic. D’autres partenaires interviennent également dans le cadre de ce continuum, comme les comités sectoriels ou le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie pour le financement.
IQ : Dès lors, quelles sont les étapes à suivre ?
FD : Les professionnels concernés vont suivre des formations spécifiques, adaptées et personnalisées. N’oublions pas que nombreuses sont les personnes immigrantes qui ont un emploi alimentaire afin de subvenir à leurs besoins vitaux et à ceux de leur famille. La formation doit s’adapter à leur réalité. Elle est facilement consultable, à distance, en mode synchrone ou asynchrone, avec un accès facile aux enseignants.
Par la suite, nous faisons des maillages. Il s’agit de rencontres entre les entreprises dans le continuum, qui ont ce besoin de scientifiques des données, et les candidats issus de l’immigration. L’entreprise choisit les candidats qu’elle souhaite voir travailler chez elle, et si la personne est intéressée, elle sera embauchée. Son arrivée dans l’entreprise ne marque pas la fin de notre relation avec le travailleur.
Dans le cadre son travail, ce dernier devra bâtir un projet personnel répondant aux besoins de l’employeur, et basé sur le jeu de données que l’entreprise lui aura fourni. Ce projet personnel est dirigé et mentoré par un chercheur du Centre de recherche en informatique de Montréal (le CRIM). Puis, le mentor du CRIM remet à l’employeur un rapport dans lequel il récapitule les forces et les points à améliorer pour le candidat.
Le continuum s’achève ainsi, et nous avons accompagné candidat et entreprise depuis les besoins et le recrutement correspondant, jusqu’à l’embauche.
IQ : Peut-on affirmer que ce service s’adresse en réalité aussi bien aux entreprises qu’aux travailleurs formés à l’étranger ?
FD : Tout à fait. Le continuum s’adresse aux entreprises qui ont besoin de scientifiques de données. Des besoins précis en main-d’œuvre spécialisée, documentés par les comités sectoriels, il y en a dans toutes les sphères de l’économie québécoise. Ce sont donc des modèles qui sont transférables à d’autres secteurs, et nous pourrions appliquer ce continuum dans un écosystème de partenaires pertinents que sont les employeurs, le milieu de l’éducation, des organismes communautaires spécialisés en matière d’immigration. Nous faisons travailler ces gens-là ensemble.
IQ : Existe-t-il des continuums pour des métiers plus « classiques » ?
FD : Oui en ce moment même nous travaillons avec Hydro-Québec, qui est présent sur de grands projets tels que le REM ou la 3e ligne. L’entreprise fait donc face à un besoin de main-d’œuvre qualifiée, en recherchant notamment des monteurs et des jointeurs. Elle a également des plans de classification exigeant un DEP en électricité pour exercer certains métiers chez eux.
Nous avons donc interrogé notre base de données et nous en avons extrait 250 personnes qui ont un profil en électricité. Après vérification des compétences, des acquis expérientiels et scolaires et de l’évaluation comparative des études, versus ce qui est recherché par l’employeur et nos candidats, nous appelons ceux qui sont sélectionnés. Conjointement avec Hydro-Québec, nous avons fait une présentation en ligne afin de communiquer les avantages de travailler chez eux.
Nous avons alors segmenté nos candidats entre ceux qui pouvaient déjà entrer directement en poste, et ceux qui avaient besoin d’une formation d’appoint. Puis nous nous sommes associés pour ces cohortes avec l’École des métiers de la construction du Centre de services scolaire de Montréal, afin de former des groupes qui vont entreprendre des démarches de RAC intensives.
De la même façon que pour le continuum en bioéconomie/sciences des données, il s’agit de personnes qui sont déjà en emploi. Les formations manquantes sont donc dispensées en dehors des heures de travail. Encore une fois, la formation est adaptée à la clientèle. Nous avons souhaité mettre tous les candidats dans un même groupe, pour la formation manquante, puisqu’ils vont ensuite se retrouver ensemble dans l’entreprise.
IQ : Pouvez-vous proposer des candidats dans tous les métiers recherchés par les entreprises ?
FD : Nous couvrons toute la province de Québec, et notre base de données s’enrichit depuis dix ans, et couvre plusieurs milliers de personnes dont le profil est cartographié. D’un autre côté, nous avons nos partenaires au niveau des cégeps et des universités.
Si notre base de données nous donne des résultats insuffisants, nous menons des activités promotionnelles et communicationnelles pour le recrutement. C’était le cas dans le continuum en bioéconomie, car les scientifiques de données étaient rares. Nous accélérons les recrutements pour les entreprises en accompagnant nos candidats, en les aidant pour le dépôt de leur dossier dans les établissements scolaires.
Si les employeurs ont des besoins particuliers, ils peuvent nous en faire part, afin de déterminer comment nous pouvons les aider. Travailler avec nous, que l’on soit candidat ou employeur, permet d’aller plus vite pour recruter des personnes qui vont travailler à la hauteur de leurs compétences. Nous perdons trop de talents actuellement au Québec.
Très souvent, les candidats, les entreprises, les établissements scolaires et les organismes communautaires font de très bonnes choses individuellement et c’est souvent l’écosystème qui ne fonctionne pas. C’est là que nous intervenons, en arrimant tout cela ensemble.
Photo : Ilya Chunin