
Ce n’est un secret pour personne : les processus de recrutement à l’international peuvent être longs et coûteux. Pour espérer gagner en temps et en argent, et faciliter la prise de décision, plusieurs firmes de recrutement international misent aujourd’hui sur les outils de l’IA.
Au Québec, cette pratique est encore loin d’être généralisée : selon une enquête de Morgan Philips, seuls 36 % ont déjà intégré l’IA à leurs processus de recrutement.
En dépit des problèmes de pénurie et de rétention de main-d’œuvre, soulignés par la centaine de répondants au Québec, interrogés entre janvier et mars 2025, « […] des préoccupations majeures autour de la sécurité des données et de la fiabilité des résultats » persistent parmi les employeurs. Ceux qui se sont prêtés au jeu reconnaissent par ailleurs les « bénéfices potentiels » de l’IA.
« Ce n’est pas magique »
Les résultats récoltés par Morgan Philips font état d’un taux de satisfaction élevé de la part des entreprises ayant eu recours à l’IA, avec une préférence pour les outils d’aide à la recherche de candidats, d’analyse des CV et d’évaluation des profils.
Mais « l’efficacité opérationnelle » attribuée à l’IA ne se fait pas du jour au lendemain. Intégrer ces outils demande de dégager des ressources, notamment pour former les gestionnaires en recrutement. « Ce n’est pas parce qu’on met [en place] un outil que l’ensemble du processus va être amélioré », prévient Céline Castets-Renard, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit international et comparé de l’intelligence artificielle.
Selon elle, « une réflexion globale » s’impose avant d’adopter ces outils. À la recherche de profils spécifiques ? L’IA n’est peut-être pas ce qu’il vous faut : « elle fait plutôt de la masse, par définition », rappelle la professeure.
Biais d’automatisation
« En tant que gestionnaire d’embauche, vous êtes responsable de toutes les décisions prises au cours d’un processus de nomination », souligne le gouvernement du Canada dans un guide sur l’utilisation de l’IA destiné aux recruteurs et aux candidats.
L’instauration d’un « système de vérification » s’impose, car l’IA soulève des questions éthiques majeures, estime Céline Castets-Renard. « Faire un essai sur un petit bassin de CV », en groupe, est un moyen de compenser pour l’influence de l’IA sur la prise de décision individuelle — et de contrôler les biais d’automatisation.
« Il faut être très vigilant sur la manière dont ces outils apprennent. Les données à partir desquelles est entraînée l’IA peuvent être biaisées par des préjugés humains en tout genre, et peuvent mener à l’exclusion de candidats sur la base de leur origine réelle ou présumée, de leur lieu de résidence, etc. Les risques de discriminations sont accrus pour le recrutement à l’international. »
Céline Castets-Renard
« Même s’il y a un contrôle humain, nous ne sommes pas certains que l’humain se rende compte de ces biais », prévient Céline Castets-Renard. Des formations sur les biais inconscients sont disponibles pour aiguiser le regard des recruteurs.
Fluidifier le processus d’immigration grâce à l’IA : à quel prix ?
Outre le monde du travail et le recrutement, les outils de l’intelligence artificielle promettent aussi de transformer le processus d’immigration en lui-même : réduction des délais d’attente, des erreurs administratives, évaluation plus équitable des dossiers, etc.
Au Canada, l’administration « manque de transparence » par rapport à son utilisation de différentes technologies, y compris de l’IA, dans les processus de sélection des candidats à l’immigration, à la résidence permanente ou à la citoyenneté, d’après Céline Castets-Renard. Les mêmes biais d’automatisation que dans le recrutement peuvent entrer en jeu, avec des conséquences d’autant plus importantes sur les parcours de vie des personnes concernées.
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) affirme que la prise de décision demeure entre des mains humaines, mais l’influence des différents outils d’automatisation sur la capacité décisionnelle des agents d’immigration demeure floue.
Photo : Brey
