Si l’embauche de travailleurs étrangers est un recours de plus en plus populaire auprès des employeurs québécois qui peinent à recruter localement, la démarche ne vient pas sans effort — et, parfois, sans dérives.
Comme de nombreuses firmes de recrutement et de placement de travailleurs étrangers temporaires et permanents, ISA Immigration et Recrutement a vu une augmentation « colossale » de ses activités depuis la pandémie de COVID-19.
En 2022, l’entreprise spécialisée dans le recrutement de travailleurs francophones a réalisé 800 placements, doublant ainsi ses résultats prépandémiques.
D’après Yves Legault, associé et vice-président au développement des affaires, le recours au recrutement international pour répondre aux besoins de main-d’œuvre sur le marché de l’emploi québécois est loin d’être terminé : ISA envisage une croissance annuelle des demandes de 20 % dans les années à venir. « La cadence augmente de mois en mois », constate-t-il.
Employeurs : portrait-robot
Deux types d’employeurs font appel aux services d’ISA. « Il y a des employeurs qui vont nous contacter parce que c’est le dernier ressort qu’ils ont », explique Yves Legault, décrivant une situation où l’offre d’emploi est parfois affichée depuis plusieurs mois. Principales concernées, les PME qui « sont incapables de recruter ou [qui] ont une incapacité à retenir la main-d’œuvre ».
Les moyennes et grandes entreprises font aussi appel aux services des recruteurs, mais leur démarche s’inscrit généralement dans une vision à long terme. « Ils comprennent bien que la pénurie de main-d’œuvre est là pour durer », soutient Yves Legault, rappelant le déficit de 1,4 M d’employés dans l’économie québécoise attendu d’ici 2030.
Ces entreprises, aux ressources plus considérables et dont les départements de ressources humaines sont bien structurés, « ont une attitude beaucoup plus prévoyante [que les PME], pour justement éviter d’être confrontées à un problème chronique », détaille-t-il. Elles vont donc couramment réclamer des cohortes assez larges, pouvant avoisiner les 100 candidats, d’après le vice-président.
Du candidat jusqu’à l’emploi
Les démarches et le coût du processus de recrutement peuvent varier en fonction des firmes, mais aussi en fonction du profil des candidats et de leurs futurs employeurs.
Dans le cas d’ISA Immigration et Recrutement, la sélection des candidats se fait en continu, à partir de leurs huit bureaux régionaux. En amont, ceux-ci prennent en charge la vérification des diplômes, des attestations d’emploi et des antécédents criminels, vont faire passer les examens de langue « pour pouvoir indexer le candidat dans une base de données sous un métier, et pouvoir déterminer s’il est apte ou non à réussir un projet d’immigration au Canada », relate Yves Legault.
« S’il y a des tests spécifiques, que ce soit des tests de santé ou de la psychométrie, ou des tests qui requièrent d’évaluer des habiletés qui sont plus fines, on a des ententes [pour les réaliser] avec des écoles de métier à l’étranger et avec des psychologues industriels », poursuit-il.
De leur côté, les employeurs font part de leurs besoins à la firme, qui organise des entrevues par visioconférences avec les candidats au profil correspondant. Une fois que le client a arrêté son choix, la firme va établir les contrats d’embauche conditionnels à l’obtention des titres de séjour. « C’est là qu’on va tomber dans le processus administratif de l’immigration ».
La durée du processus va varier en fonction de plusieurs facteurs. Si l’employeur doit se soumettre à une Évaluation d’impact sur le marché du travail (EIMT), par exemple, on peut compter six à sept mois avant l’entrée en emploi du travailleur. Un délai réduit de moitié en cas d’exemption à l’EIMT.
Chez ISA, le recrutement et les services d’accueil coûtent un total d’environ 5 500 $ CAN, excluant les frais gouvernementaux. Dans le pire des cas, il faut débourser 8 000 $ CAN par candidat.
Dévouement ou dérive ?
En plus de ne rien avoir à débourser, les candidats pris en charge par ISA sont accompagnés dans la recherche de logement, la fiscalisation, l’achat d’un forfait téléphonique ou encore la reconnaissance de leur permis de conduire. « L’idée c’est d’amener à l’employeur le candidat le mieux outillé, le plus apte à débuter tout de suite son emploi », assure Yves Legault.
Avoir recours à une firme spécialisée dans le recrutement facilite bien des choses pour les employeurs, qui sont par ailleurs « prêts à faire beaucoup pour recruter », croit-il. Parfois même un peu trop ?
Yves Legault se souvient d’entreprises clientes ayant endossé l’ameublement des appartements de leurs travailleurs étrangers fraîchement installés au Canada, par exemple. D’autres auraient même proposé aux nouveaux employés de leur acheter une voiture, dans le but de faciliter leur vie quotidienne et familiale.
La participation des employeurs peut parfois être nécessaire, notamment pour « cautionner des loyers, parce que c’est difficile de faire signer des baux pour des travailleurs étrangers sans historique de crédit », nous renseigne-t-il, mettant toutefois en garde contre les dépassements potentiels. « Il faut faire attention, parce qu’il faut toujours conserver l’équité comme règle. Ces employeurs-là ont aussi des employés canadiens. Il ne faut pas non plus un traitement, un préjudice favorable à l’endroit des travailleurs étrangers », prévient-il.
Ainsi, outre le sentiment d’urgence pouvant pousser les employeurs à choisir le long et coûteux chemin du recrutement international, l’excès d’empathie ou la crainte de ne pas paraître suffisamment attractif vis-à-vis du travailleur étranger peuvent aussi, selon lui, être questionnés — lorsqu’ils ne sont pas tout simplement préjudiciables pour l’entreprise.
Photo : Andrew Butler