Article mis à jour le 13 novembre 2023
Le travail à distance a ses apôtres autant que ses détracteurs, depuis toujours. Au Québec, l’hybridation du travail, d’abord imposée par les mesures sanitaires, a évolué, comme ailleurs, vers un statut quasi- normatif, pour devenir, en 2022 une ligne indispensable à toute offre d’emploi. De fait, selon une étude publiée par le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ) publiée le 8 septembre 2022, seul 1 % des 16-35 ans souhaitent retourner au bureau à temps complet (contre 11 % en août 2021). 66 % d’entre eux (contre 45 % en 2021) préfèrent travailler à temps plein de l’extérieur du bureau, et 33 % en mode hybride.
On a souvent tendance à penser qu’un salarié qui ne travaille pas du bureau, travaille « de la maison ». Cela était sans doute vrai pendant la pandémie, lorsqu’il était confiné ; mais cette image du salarié enchaînant les réunions Teams depuis le confort de son canapé n’est peut-être plus aussi systématique. L’hybridation a libéré le salarié non pas seulement de l’espace nommé « bureau » mais, techniquement, de tout lieu – de la même manière qu’elle a libéré, dans une certaine mesure, l’employeur (qui ne le réalise pas toujours).
Entre en scène une autre forme de travail à distance, que certains on commencé à évoquer sans même attendre les déconfinements successifs. Durant la pandémie, c’est Mark Zuckerberg qui, le premier, a exposé une vision réellement globalisée du travail au sein de son entreprise, en estimant que :
- la moitié au moins des postes chez Facebook pouvaient être télétravaillés sur une base permanente, et surtout que
- ces postes, de même que la plupart des offres d’emploi du groupe, seraient ouverts aux travailleurs du monde entier, sans relocalisation.
Pour reprendre les termes de Jean-Baptiste Audrerie, « la limite sera plus linguistique que géographique. On s’oriente vers une nouvelle géographie de l’emploi.
On parle d’externalisation de la main-d’œuvre, ou encore de « télémigration », c’est-à-dire littéralement de travail à distance transfrontière, sans que le travailleur n’ait à entreprendre de démarches destinées à le rapprocher physiquement de l’entreprise pour laquelle il travaille.
Bien sûr, de nombreux professionnels des RH sont amenés à se poser des questions d’ordres opérationnel, technique, juridique, ou encore économique, comme :
- A-t-on besoin d’obtenir un permis de travail au Canada pour un travailleur étranger qui ne résidera pas Canada ?
- Quels revenus ou dépenses déclarer ? Auprès de qui ?
- Quel droit est applicable en cas de litige ?
- À quel régime de santé rattacher le salarié ?
- Commentgérerdeséquipesdistribuée sur plusieurs fuseaux horaires ?
- Commentappliquerleprinciped’équitésalariale?
Mais le nouveau paysage qui pourrait se dessiner, du moins dans les secteurs d’activité qui le permettent, pose une question bien plus fondamentale, née de la confusion entre un projet d’entreprise et un projet de société.
Le terme de télémigration est révélateur, car le procédé implique une sorte de présence virtuelle marquée par l’absence d’immi- gration. La souplesse que permettrait le court-circuitage des procédures d’immigration peut être très tentante du point de vue d’entreprises désireuses de tirer parti sans délai et à moindres frais des compétences de travailleurs étrangers, même à distance. De même, à n’en pas douter, beaucoup de travailleurs qui n’ont aucune intention de quitter leur pays d’origine ou de résidence seront très heureux de pouvoir accéder à des opportunités d’em- ploi qu’il leur était difficile, voire impossible, d’atteindre aupara- vant sans émigrer. Une pratique désormais admise par certaines entreprises, dont la perception du télétravail a évolué positive- ment durant la pandémie.
On n’élaborera pas ici sur les intérêts économiques, culturels, démographiques, etc. reliés à la présence physique de travailleurs étrangers au Québec. On se contentera d’énoncer une évidence, celle qu’un travailleur étranger, même temporaire, n’est pas que le maillon d’une entreprise, tout talentueux qu’il soit. Il est aussi partie prenante d’une communauté qu’il contribue à enrichir et à faire vivre. C’est le début logique d’une intégration réussie, de nature à poser des bases saines d’engagement à des valeurs et à une langue auxquelles le Québec tient tant — et, qui sait, d’un attachement à long terme.