Une étude révèle que les travailleurs étrangers temporaires qui touchent un haut salaire sont aussi concernés par des abus et de la maltraitance sur leur lieu de travail.
Depuis deux décennies, Catherine Connelly s’intéresse aux « différents types de travail et de travailleurs ». Professeure à l’école de commerce de l’Université McMaster à Hamilton, en Ontario, elle commence à se pencher sur le programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) en 2013, quand un événement pique sa curiosité : la Banque Royale du Canada fait scandale, pointée du doigt après avoir remplacé ses employés canadiens licenciés par des travailleurs étrangers temporaires.
De cette curiosité et des recherches qui en ont découlé est né Enduring Work : Experiences with Canada’s Temporary Foreign Worker Program, paru le 15 mai 2023 aux éditions McGill-Queen’s University Press.
« Ce que j’ai trouvé était très différent de ce à quoi je m’attendais », soutient-elle. Sa plus grande surprise ? « Les travailleurs à haut salaire deviennent une cible de choix pour la maltraitance ».
Abus
« Lorsqu’on parle de travailleurs étrangers temporaires, les gens pensent souvent aux travailleurs agricoles ou dans les métiers de la santé. Mais le volet des travailleurs à bas salaire et des travailleurs à haut salaire ne cessent de prendre de l’expansion — et ces travailleurs sont très vulnérables », rappelle-t-elle.
Les travailleurs occupant des postes à haut salaire sont particulièrement négligés, selon elle, car « les gens imaginent qu’ils sont bien, puisqu’ils ont de bons niveaux d’éducation et des salaires importants, ils pensent qu’ils sont protégés ». Mais, selon la chercheuse, « ce n’est pas le cas du tout ».
En récoltant le témoignage des centaines de participants au programme — tous volets confondus — et à des employeurs partout au pays, Catherine Connelly observe des motifs d’abus récurrents.
Le « vol de salaire » est l’un d’entre eux. Il peut prendre plusieurs formes, par exemple la rétention illégale d’une partie du salaire des travailleurs étrangers, supposément pour « rembourser les frais de recrutement », explique la professeure. Une pratique « routinière », d’après les travailleurs interrogés, et qu’« aucun citoyen québécois ou canadien n’aurait à vivre », rappelle-t-elle.
Beaucoup d’entre eux seraient aussi « bien plus qualifiés que ce que le poste réclamait », ce qui entraîne un autre type d’abus : « l’entreprise s’attend fréquemment à ce qu’ils fassent des tâches supplémentaires, qui ne sont pas dans leurs contrats, juste parce qu’ils en sont capables et même si leur rémunération n’en est pas augmentée », décrit Catherine Connelly.
Facteurs aggravants
Si les travailleurs étrangers temporaires ont sensiblement les mêmes droits que les autres travailleurs, ils sont souvent moins au courant de leurs droits et des recours dont ils disposent pour les faire valoir.
La professeure soutient qu’ils peuvent aussi être « réticents à les faire respecter, parce qu’ils sont nombreux à espérer appliquer au Programme des candidats des provinces (PCP) et, peut-être, devenir un jour résident permanent ».
Ce projet pourrait être remis en cause par un conflit avec leur employeur, puisque le statut migratoire des travailleurs étrangers temporaires à haut salaire dépend d’eux : avec un permis de travail fermé, « ils ne sont pas autorisés à quitter leur travail et en trouver un ailleurs », dénonce Catherine Connelly. Ils sont donc exposés aux mêmes abus que les travailleurs à bas salaire, « sans porte de sortie ». Et ce, même s’ils touchent de bons salaires.
Les femmes, les personnes racisées, isolées, les personnes moins confiantes dans leur maîtrise du français ou de l’anglais sont « encore plus vulnérables » face aux employeurs malveillants.
Une réalité, note l’auteure, qui est indifférente à la province, à la ville ou au secteur d’activité. « Il semble que ce soit partout à travers le Canada », se désole-t-elle.
Un programme à repenser ?
Dans son ouvrage, Catherine Connelly expose aussi plusieurs pistes de solutions.
Parmi elles, l’augmentation de la surveillance des employeurs qui embauchent des membres de leur famille : les abus les plus importants qui ont été signalés dans le cadre de l’étude concernaient des cas où le patron et l’employé victime de mauvais traitements avaient des liens familiaux.
« Parce qu’ils travaillent pour des proches, ils pensaient qu’ils seraient bien. Mais ils ont plutôt été maltraités, sans pouvoir en parler à personne. S’ils en parlaient aux autorités, leur famille les aurait reniés ».
Une autre option serait de modifier les permis de travail des travailleurs étrangers temporaires, de fermé à ouvert. Plutôt que de rester pris dans un environnement abusif, voire dangereux, ils pourraient tout simplement « traverser la rue et aller travailler pour un compétiteur qui les traiterait mieux », propose Catherine Connelly, comme c’est le cas pour le Programme de mobilité internationale (PMI), par exemple.
Elle invite aussi les différents paliers gouvernementaux à augmenter le financement des associations qui travaillent auprès des travailleurs étrangers temporaires. Un financement actuellement limité, puisque son attribution est liée au fait que les bénéficiaires de services détiennent la résidence permanente — ce qui n’est pas le cas des TET.
Les employeurs devraient d’ailleurs, selon la professeure, « travailler main dans la main » avec ces associations, au bénéfice de leurs employés.
Mais le premier pas vers la diminution des abus et de la maltraitance envers les travailleurs étrangers temporaires à hauts salaires serait, déjà, de « reconnaître qu’ils ne sont pas à l’abri ».
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