
Tout commence en 2019, quand les équipes de l’IRIPII et d’INICI (alors appelé ALPA) sont invitées à participer à une activité de théâtre-forum.
Apparu au Brésil des années soixante, alors sous le joug d’une dictature militaire brutale, le théâtre-forum est une pratique qui consiste à mettre en scène des situations d’oppression, afin d’en comprendre les mécanismes et de les transformer.
Et appliqué au monde du travail ? Ces outils permettent d’« être capable de revoir ses pratiques, pour assurer le meilleur maillage possible avec les équipes de travail, avec les gestionnaires et avec la personne nouvellement arrivée », explique Jérémie Duhamel, chercheur à l’IRIPII et chargé du développement scientifique du projet de recherche-action, mené entre 2020 et 2023.
« Une expérience concrète d’inclusion »
Le public, composé d’autres employés et de gestionnaires d’entreprise, est ensuite invité à prendre la parole.
Sur un mode d’improvisation, les membres du public vont à leur tour monter sur scène pour y rejouer la scène, cette fois en intégrant les propositions qui ont émergé des discussions. « L’idée est de se décentrer de sa propre perspective, d’embrasser la perspective de l’autre pour mieux la comprendre », résume le chercheur.
« À travers un échange modéré, on va petit à petit réfléchir ensemble à ces enjeux, soit pour mieux les comprendre ou pour essayer de surmonter des situations jugées problématiques ».
Jérémie Duhamel
Des « retombées très positives »
Particulièrement révélateurs depuis quelques années, « les enjeux autour de l’immigration et des relations interculturelles sont au cœur du vivre-ensemble, en entreprise ou ailleurs », estime Jérémie Duhamel.
Dans les équipes de travail ou avec les gestionnaires, l’accueil de personnes issues de l’immigration peut « amener de l’inconfort ». L’employé nouvellement arrivé peut, lui aussi, faire face à des situations problématiques — sans avoir forcément l’espace et les personnes adéquates auprès de qui en parler.
« Avec le théâtre-forum, on a trouvé un moyen d’entrer en dialogue sur ces sujets complexes, sensibles, potentiellement explosifs ».
Jérémie Duhamel
C’est aussi un bon moyen de mettre en lumière les biais inconscients des uns et des autres. L’activité, testée pendant trois ans auprès d’entreprises mises en relation avec le centre de recherche et l’organisme via le CPQ, a un « effet de sensibilisation assez puissant ».
Les personnes issues de groupes minorisés peuvent effectivement se reconnaître dans les scènes rejouées, se sentir moins seules et se déresponsabiliser.
Et maintenant ?
« Ce n’est pas une recette magique », prévient Jérémie Duhamel, « peut-être qu’il ne s’agit que d’un premier pas ». Chose certaine, les participants en sortent « avec une envie de poursuivre les réflexions, quelques idées de solutions à implanter en entreprise », assure-t-il. « Mais ce n’est pas le fin mot de l’histoire, après il faut continuer le travail ! »
Pour les chercheurs de l’IRIPII, le travail est pour le moment terminé et les résultats de l’étude ont été confinés dans un rapport de recherche.
Du côté d’INICI, le théâtre-forum a été intégré à leur boîte à outils. À l’issue du projet de recherche-création, l’organisme est capable d’offrir l’activité en ligne et en présentiel.
Mais le manque de financement dans l’accompagnement des personnes issues de l’immigration récente après leur entrée en emploi complique, pour l’instant, le déploiement d’activités auprès des entreprises.
Photo : Eduardo Pastor