
« On est en plein dans une période de turbulence », admet Selin Adam, reprenant les mots du premier ministre québécois. Avec les resserrements des programmes d’immigration temporaire, mesures entrées en vigueur le 26 septembre 2024, de nombreux employeurs désireux de recruter ont été plongés « dans un nuage gris », reconnaît la consultante réglementée en immigration et directrice des opérations en immigration auprès de PHOENIX GMI, firme spécialisée en mobilité internationale.
Sauter sur l’opportunité
Du côté des agences de recrutement, le ciel s’est-il couvert aussi ? « J’ai eu des échos d’agences qui ont fait faillite », rapporte Selin Adam, se réjouissant de ne pas ressentir les effets négatifs des récentes modifications sur ses activités. « Au contraire, nous avons pris les devants ! » Des agences concurrentes « doivent être dans la même dynamique », estime-t-elle.
Dès l’annonce des mesures, la consultante et son équipe ont encouragé les employeurs à déposer des demandes d’Évaluation de l’impact sur le marché du travail (EIMT) dénominalisées. Même s’ils n’avaient pas tous des besoins urgents en recrutement, certains clients ont tout de même préféré les anticiper, et « par ricochet, entamer les démarches d’immigration pour prolonger les permis de travail de ceux qui étaient déjà en emploi ».
Selon elle, les agences contraintes de mettre la clé sous la porte sont les mêmes qui « se sont multipliées comme des champignons » il y a quelques années, dans la foulée de la pénurie de main-d’œuvre et de l’ouverture à l’immigration temporaire. Attirées par « l’argent facile », plusieurs se sont improvisées spécialistes, encouragées par le laxisme de la réglementation entourant les agences de recrutement au Québec, analyse Selin Adam. « Ça a vraiment été la jungle ! »
« Du travail d’orfèvre »
À partir des qualifications professionnelles et du projet migratoire établis avec l’employeur, le « projet de vie » de chaque candidat est scruté de près pour comprendre si ses objectifs d’installation au Québec correspondent au profil recherché et aux programmes d’immigration en vigueur. « Ce sont vraiment des diamants, des perles qu’il faut aller chercher une à une », illustre Selin Adam. Mais « il ne faut jamais commencer à recruter des candidats sans avoir établi le moule d’immigration [à court terme et à moyen terme] dans lequel on veut coucher le candidat », insiste-t-elle.
« Mon travail, ce n’est pas de remplir deux ou trois formulaires [d’immigration] : ça, tout le monde peut le faire. Un recrutement réussi s’envisage d’abord sur la base d’une stratégie en amont ».
Selin Adam
Comment faire, alors que ce fameux « moule » est fréquemment sujet à modifications ? « Il y a des bases qui ne changent pas », soutient la recruteuse, qui estime que la trame de fond des politiques migratoires du gouvernement est la même depuis son arrivée au pouvoir — et qu’« on le sait depuis longtemps : si on ne mise pas sur un recrutement francophone ou francophile, ils viennent et ils partent ».
User de créativité
Les agences de recrutement qui auront un avenir, « ce sont celles qui pourront offrir de vraies garanties ». Celles qui savent penser stratégie, et adapter leurs services en fonction du contexte.
Optimiste, Selin Adam espère que les bouleversements actuels redonneront un souffle à la profession — et à l’ensemble du milieu. Elle estime par exemple qu’il serait opportun de repenser les missions de recrutement à l’international Journées Québec, en misant sur une approche plus personnalisée. Un souhait qui sera peut-être exaucé lors de la prochaine planification de l’immigration, qui devrait être l’occasion de repositionner les Journées Québec (l’entrevue a eu lieu avant la suspension des Journées Québec par le gouvernement, le 27 novembre 2024, NDLR).
Son mandat ne risque pas de changer fondamentalement, mais elle se dit prête à affiner son travail pour encore mieux répondre aux exigences des employeurs, qui « vont être plus sélectifs par rapport aux agences », croit-elle. Autre priorité : « garder et protéger » ceux qui sont déjà en emploi. « On ne baisse pas les bras, bien au contraire », rassure-t-elle.
« Les agences qui survivront et qui pourront aller plus haut et plus loin, ce seront celles qui ont les reins solides, et pourront vraiment garantir à leurs clients du travail stratégique, pour le futur du Québec. »
Photo : Gabriel Herter