La santé mentale des personnes immigrantes et des réfugiés gagnerait à être prise en compte dans leur processus d’intégration, selon les expertes que nous avons rencontrées.
Si de nombreuses ressources en santé mentale sont disponibles et accessibles pour les personnes issues de l’immigration au Québec, les services ne sont pas toujours adaptés. Les référents culturels, la langue maternelle ou encore, particulièrement dans le cas des réfugiés, les événements vécus dans le pays de provenance sont autant de facteurs qui façonnent « notre développement, notre façon de voir les problèmes, notre façon de réagir à nos problèmes, les solutions qu’on va trouver, les explications qu’on donne, et comment notre santé mentale va évoluer », explique Ghayda Hassan, psychologue clinicienne et professeure de psychologie clinique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Faire un pas vers l’autre
Inspirée de son pendant psychiatrique, la psychologie transculturelle étudie le « développement humain dans sa propre culture », définit la professeure. La psychologie interculturelle, quant à elle, s’intéresse aux différences entre plusieurs groupes culturels.
Maîtriser les bases de l’approche transculturelle permet aux professionnels et intervenants qui interagissent avec les personnes immigrantes de « sortir de leur ethnocentrisme », soutient Ghayda Hassan, et ainsi d’être mieux outillés pour interpréter les comportements ou le ressenti de la personne concernée.
Par exemple, chez une personne croyante ou avec une spiritualité forte, « ces croyances peuvent faire partie à la fois des problèmes, mais aussi, souvent, aux solutions possibles » à la compréhension des enjeux propres à la personne, illustre-t-elle. « Dans la psychologie traditionnelle, on ne s’intéresse pas à ça », dit-elle, mais la vision plus holistique que propose la psychologie transculturelle pousse à « regarder aussi qui elle est en tant que personne, les valeurs auxquelles elle adhère, ses sources de résilience », dont les croyances religieuses peuvent faire partie.
Sensibiliser pour mieux accompagner
Comme plusieurs organismes de la province, Inclusio œuvre à la sensibilisation et à la formation des intervenants qui travaillent avec des populations autochtones ou immigrantes, afin de mieux les accompagner en contexte interculturel.
Pour Nadia Kendil, présidente et fondatrice d’Inclusio, le blocage que peuvent ressentir certaines personnes immigrantes ne dépend pas de l’origine de l’intervenant en tant que telle, mais plutôt du fait « que l’intervenant ne connaisse pas sa culture ».
De son expérience comme psychologue, elle retient que les enjeux de communication, d’adaptation, mais surtout le jugement, le racisme et les discriminations, « atteignent vraiment la santé mentale des personnes immigrantes, puisqu’elles ne vont plus consulter quand elles savent que la personne ne fait pas partie de leur culture, ne comprend pas leur culture ».
En travaillant notamment sur leurs biais inconscients, les intervenants peuvent apprendre à créer un meilleur climat pour les bénéficiaires. Ainsi, dans le contexte d’une thérapie où le patient est concerné par un syndrome post-traumatique, l’usage de la langue d’origine est d’ailleurs à prioriser, précise Nadia Kendil.
Les conséquences de la négligence
Ce travail de sensibilisation et de formation est, selon Ghayda Hassan, de plus en plus reconnu, tout comme l’importance de tenir compte de la santé mentale de certaines populations vulnérables — une réalité exacerbée par la pandémie. « Or, là où il y a moins de sensibilisation, c’est au niveau des communautés et des personnes elles-mêmes », se désole-t-elle.
La santé mentale « va souvent être quelque chose de stigmatisé ; ou alors, on est tellement centré à assurer de bonnes conditions de vie à sa famille, à trouver un emploi, à s’occuper des enfants, à ce que tout le monde trouve sa place, qu’on peut un peu se négliger soi-même et ne pas considérer que notre propre bien-être joue un rôle très important dans notre intégration ».
Les symptômes d’anxiété ou de dépression, fréquemment observés chez les patients issus de l’immigration, peuvent avoir des conséquences sur l’ensemble de leur vie et de leur intégration sociale et professionnelle. « Cela peut affecter nos relations avec les gens autour de nous, ça peut nous isoler socialement, ça peut affecter notre motivation à travailler, notre niveau d’énergie, même physique, pour travailler, notre capacité d’attention, de concentration dans notre travail, ça peut faire en sorte qu’on s’absente », détaille la professeure.
« Ça peut devenir un cercle vicieux parce que plus on est fatigués, moins on est motivés, moins on est motivés, plus on est en colère… plus notre état empire », poursuit-elle.
« L’adversité sociale peut créer des problèmes de santé mentale »
Les enjeux de santé mentale ne touchent pas que les demandeurs d’asile et les réfugiés, à qui on prête plus facilement des difficultés. Un a priori auquel Ghayda Hassan réplique : « ce n’est pas tout à fait vrai, mais pas tout à fait faux ».
Elle concède effectivement que « la population immigrante est, en général, en meilleure santé mentale que la population globale », et que les réfugiés sont plus à risque d’avoir des enjeux de santé mentale « en raison des événements auxquels ils ont été exposés » avant leur arrivée. En clinique comme en recherche, elle constate un changement de dynamique depuis quelques années, puisqu’« une bonne partie de personnes immigrantes arrivent désormais en provenance de pays avec des problématiques sécuritaires et économiques similaires à ceux des personnes réfugiées ».
Nadia Kendil, quant à elle, remarque qu’un nombre de plus en plus important de personnes issues de l’immigration se sentent jugées au Québec. Un sentiment pouvant avoir des répercussions majeures, car « les conditions d’accueil jouent un rôle presque plus important sur la santé mentale que l’environnement que les personnes ont fui », nous renseigne Ghayda Hassan.
« Ce qui va faire que leur santé mentale va empirer rapidement, ce sont par exemple des conditions d’accueil qui sont traumatisantes », détaille-t-elle : le racisme, les discriminations, en passant par la disqualification professionnelle ou encore l’isolement social.
Ainsi, la santé mentale est indubitablement un facteur à prendre en compte dans l’intégration des personnes immigrantes… et vice versa !
Photo : Madison Oren