Le 26 février 2024, l’Institut du Québec (IDQ) a publié un rapport sur l’immigration temporaire intitulé « L’impact des immigrants temporaires sur le marché de l’emploi au Québec : mieux comprendre pour mieux agir ». Que nous apprend-il ?
Alors que les politiques publiques ont permis l’arrivée d’un nombre record de résidents temporaires, destinés à répondre aux besoins des entreprises à la recherche de main-d’œuvre, le rapport pose deux questions.
La première revient à interroger, avec le recul, la portée des mesures en faveur de l’immigration temporaire sur l’arrimage entre l’immigration et l’économie.
La seconde, qui en découle en partie, s’intéresse à la pratique qui consiste à ne considérer que l’immigration permanente dans le calcul des seuils annuels, qui revient à penser l’immigration « en silos », qui fausse l’évaluation de l’impact réel des entrées sur la capacité d’accueil de la province.
Explosion de l’immigration temporaire
Plusieurs éléments déjà largement évoqués depuis quelques mois sont appuyés par les faits et chiffres. Parmi eux, le nombre de personnes titulaires d’un permis de travail temporaire, qui a largement augmenté ces dernières années, passant de 43 770 en 2015 à 167 435 en 2023 au Québec. C’est sans compter les étudiants étrangers, au nombre de 117 745 l’an dernier au Québec et les demandeurs d’asile, ce qui donne un total de 528 034 personnes au statut temporaire. Ainsi, les résidents temporaires accueillis en 2023 étaient plus nombreux que les résidents permanents.
1,8 % de la population québécoise sont des résidents temporaires, contre 1,9 % pour l’ensemble du Canada. Cependant, au Québec, la population grandissante a soulevé de nombreux débats sur la capacité d’accueil de la province en matière de logement ou d’accès aux services publics. Après l’explosion de l’immigration temporaire, les gouvernements semblent vouloir faire marche arrière, à l’image, par exemple, du plafond instauré pour deux ans du nombre de permis d’études délivrés.
Cette augmentation s’explique notamment par les politiques publiques mises en place pour attirer les travailleurs étrangers, mais aussi pour permettre aux entreprises d’accéder plus facilement à un bassin élargi de main-d’œuvre, à l’heure des changements démographiques et des nombreux départs à la retraite — sans oublier les multiples mesures instaurées après la pandémie de COVID-19 pour relancer l’économie.
Ainsi, employeurs et établissements d’enseignement secondaire ont largement augmenté leur proportion de personnes immigrantes (travailleurs et étudiants).
Un soutien global à l’économie
En règle générale, cela a fonctionné. L’immigration a aidé à alléger la perte des départs à la retraite et stabiliser la démographie. De plus, des secteurs en difficulté comptent beaucoup sur les travailleurs temporaires, comme la fabrication (16 % de la main-d’œuvre), le commerce de gros et de détail (12 %) et l’hébergement et la restauration (9 %). Et, naturellement, si une personne immigrante est certes un usager supplémentaire des services publics, elle est aussi une consommatrice de biens et services qui contribue au dynamisme de la communauté.
Seulement, les mesures mises en place pour arrimer les besoins spécifiques des entreprises à l’immigration ne sont pas celles qui ont attiré le plus. En effet, 59 820 personnes sont arrivées via le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), contre 107 615 venues grâce au Programme de mobilité internationale (PMI), qui intéresse plutôt des travailleurs qualifiés sans forcément correspondre à l’économie (en dehors bien sûr de professions admissibles au traitement simplifié). Ce sont cependant des personnes ayant de hautes compétences qui permettent au Québec de se démarquer à l’international.
Presque la moitié d’entre elles sont des diplômés canadiens qui souhaitaient travailler au Québec. Autant de personnes qui remplissent tous les critères pour obtenir la résidence permanente et s’intégrer au mieux dans la province. En 2023, les détenteurs d’un permis grâce au PMI représentaient 75 % des personnes ayant obtenu la résidence permanente à partir d’un statut temporaire au Québec.
Des lacunes en santé et dans la construction
Cependant, le rapport pointe du doigt qu’en dépit de cette hausse, les secteurs de la construction, du social et de la santé demeurent en difficulté. Par exemple, le PTET est peu utilisé dans la santé, alors que l’agriculture y a fortement recours (23 % des permis en 2023 sont dans ce secteur) ou la manufacture.
Des lacunes qui peuvent s’expliquer par « une réglementation plus complexe et contraignante qui entrave le recrutement de travailleurs étrangers et la reconnaissance de leurs compétences », selon le rapport. Car la situation est pire au Québec qu’en Colombie-Britannique ou en Ontario dans le secteur de la construction par exemple.
L’IDQ n’établit pas de seuil optimal l’économie du Québec, mais constate qu’une hausse de l’immigration n’amène pas nécessairement une hausse du niveau de vie collectif.
Pistes de réflexion
Face à ces enjeux, les auteurs du rapport proposent des idées pour des « politiques d’immigration plus cohérentes ».
Parmi elles, citons les suivantes :
- Mieux anticiper et encadrer l’immigration temporaire. Plus que de fixer des seuils pour l’immigration permanente, il est recommandé de mieux coordonner les différents programmes. Aligner les deux formes d’immigration.
- Mieux intégrer le tremplin entre permis temporaire et résidence permanente, qui n’est pas toujours simple actuellement.
- Mieux arrimer les profils aux secteurs en difficulté, comme la santé et la construction, et surtout aux besoins à long terme du Québec.
- Disposer de meilleures données sur les immigrants temporaires pour améliorer les analyses et mieux prévoir l’immigration.
Photo : Martin Martz