Si le recours aux travailleurs étrangers temporaires n’est plus marginal pour les entreprises québécoises, ses modalités sont en constante évolution.
Avec la pandémie et l’intensification des enjeux de main-d’œuvre, le recrutement à l’international est passé d’une « solution de dernier recours » à une « pratique RH » en bonne et due forme, soutient Marc Audet.
En témoigne l’explosion du nombre de firmes de recrutement à l’international ou de consultants en immigration, selon le président et chef de la direction chez Auray, membre de Raymond Chabot Grant Thornton, qui propose d’accompagner les entreprises québécoises dans tout le processus, de la sélection du candidat aux démarches administratives à l’arrivée.
De nouveaux paramètres
L’appel aux travailleurs étrangers temporaires (TET) ne s’est pas simplement démocratisé. À en croire Marc Audet, les employeurs utilisent désormais ce mécanisme pour embaucher des travailleurs qualifiés — moins convoités avant la pandémie, selon lui.
À l’interne, comme pour les firmes intermédiaires, les habitudes ont, elles aussi, évolué : les missions virtuelles de recrutement ont continué à se développer, permettant des économies en temps et en argent. « Le gouvernement s’est [lui aussi] ajusté en partie aux pressions du marché », poursuit Marc Audet, rappelant que le recrutement international, autrefois limité à 10 %, peut désormais concerner 20 % ou 30 % des effectifs, en fonction des secteurs.
Du côté des candidats aussi, il remarque des changements : les TET « se sont éduqués davantage sur les processus d’immigration, mais aussi sur ce qui peut les attendre à leur arrivée », dit-il.
Mais les dernières années n’ont pas uniquement vu des évolutions positives en ce qui concerne le recrutement de TET. Depuis février 2022, le début de l’offensive russe en Ukraine et les tensions sur l’économie qui en ont découlé, un certain nombre d’entreprises recrutant à l’international ont été contraintes d’annuler la venue du candidat sélectionné, témoigne Marc Audet. Une insécurité supplémentaire pour les entreprises québécoises, aussi bien que pour des travailleurs privés de leur projet professionnel et migratoire, parfois sans compensation financière, après des mois de préparation et d’investissements.
Moment crucial
Quant aux délais, Sandrine Théard explique qu’« avant, on arrivait à avoir une meilleure visibilité sur le temps que ça allait prendre pour recruter une main-d’œuvre étrangère », ce qui n’est plus le cas depuis aujourd’hui.
D’où l’importance du processus d’entrevue et de sélection, croit la fondatrice des Sources Humaines, L’École du recrutement, formatrice en recrutement et en sourcing : bien réalisé, celui-ci permet de s’assurer en amont de la compatibilité du candidat avec l’entreprise.
La première étape serait de mieux « expliquer comment l’entreprise fonctionne dans son recrutement, quels sont ces processus, comment se déroule l’entrevue », afin que « la personne se sente plus à l’aise », estime-t-elle. « Candidater, ce n’est pas un métier. Personne n’apprend à candidater », rappelle-t-elle, invitant les recruteurs à « faire la différence entre un bon candidat et un bon potentiel ».
Durant l’entretien d’embauche, le choix des questions est aussi déterminant. « On devrait avoir le plus possible une entrevue qui sera comportementale, c’est-à-dire regarder comment on peut transférer les compétences de quelqu’un dans mon contexte, dans la réalité de l’entreprise » plutôt que d’exiger au candidat de disserter sur ses forces et ses faiblesses.
Adaptation mutuelle
Sandrine Théard juge que l’entreprise doit aussi se poser des questions au préalable, et savoir si elle offre un environnement adapté à l’accueil d’un ou plusieurs TET.
La firme Auray cherche, elle, à « conscientiser les entreprises » sur les différents enjeux liés au recrutement international, pour s’assurer qu’elles entament bien les démarches qui correspondent à leurs besoins. Une organisation qui souhaite trouver un employé pour intégrer son équipe à long terme devrait prioriser un TET francophone, dont les compétences de base augmentent en principe les chances de répondre aux exigences linguistiques nécessaires à l’obtention de la résidence permanente, illustre Marc Audet.
Un maillage réussi requiert une adaptation des deux côtés. Mais la personne qui prend le plus gros risque […], ce n’est pas l’entreprise, le recruteur ou le gestionnaire. C’est le candidat qui va changer de vie », rappelle Sandrine Théard.
La préparation du candidat, de l’équipe et des gestionnaires est donc essentielle, détaille-t-elle. Surtout, laisser le moins de surprises possible au candidat, être transparent et honnête quant à ses attentes et aux contraintes locales : problématiques liées au logement, au transport, au climat ou encore aux différences culturelles.
Une démarche innovante
Moins répandue, une autre option s’offre aux entreprises québécoises qui veulent faire du recrutement de TET une pratique bien instituée : commencer par l’externalisation des processus.
Nouvelle ligne d’affaires développée par la firme Auray depuis la pandémie, l’externalisation des ressources consiste à faire appel à de la main-d’œuvre à l’extérieur du pays pour des tâches pouvant se faire en télétravail.
« Ça permet de recruter la ressource rapidement, parce qu’on n’a pas à attendre les délais d’immigration », explique Marc Audet. Un avantage non négligeable, dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre.
Dans une démarche de recrutement international, cela permet de « voir la personne travailler, de déterminer si ça fonctionne avant de la faire venir » au Québec. Si la collaboration est un succès et que l’employé entame un processus d’immigration, l’entreprise est gagnante : le TET a déjà plusieurs mois d’expérience à son poste, des liens avec le reste de l’équipe et une meilleure compréhension de la culture du travail québécoise.
Un modèle d’avenir ? Difficile à dire, dans un contexte en constante mutation. Et un modèle qui soulève, à certains égards, davantage de questions qu’il n’apporte de réponses pour la société québécoise.
Photo : Mehmet Bozgedik